Sociologue, directeur du Centre de sociologie du travail et des arts (Cesta/EHESS), Pierre-Michel Menger avait publié, il y a bientôt trois ans, un court essai remarqué : Portrait de l'artiste en travailleur (Seuil, 2003). Il y montrait combien le travail artistique, loin de s'opposer aux logiques du capitalisme, tendait à devenir un idéal possible du travail « ordinaire », tel que l'envisage le nouveau management : individualisme, compétition, organisation flexible...
Les deux livres qu'il vient de publier coup sur coup approfondissent cette analyse, en éclairant les enjeux des débats contemporains sur l'art. Dans Profession artiste, livre d'entretiens très accessible, il éclaire notamment les difficultés et les ambivalences de la politique culturelle, à l'heure où l'on assiste à une explosion des loisirs audiovisuels qui semble compliquer la promotion des arts les plus « exigeants ». Autre point abordé : l'ambiguïté du statut contemporain de l'artiste, vivant sur le mythe de son indépendance et de son pouvoir subversif, alors que les fonctionnements du monde de l'art tendent à s'étendre au monde du travail dans son ensemble.
C'est notamment cette ambiguïté que révèle la crise du régime des intermittents, auquel P.-M. Menger consacre un autre ouvrage. Nettement plus dense que le premier, Les Intermittents du spectacle reprend vingt ans de conflit sur le régime d'indemnisation de ces salariés, en mettant en évidence là encore les paradoxes d'un système défendu par les employeurs et les employés, fondé sur l'hyperflexibilité du travail, mais où le chômage augmente plus vite que l'emploi, pourtant en pleine explosion. Cette analyse très bien informée se risque finalement à proposer un « scénario original de réforme », qui inspirera peut-être les partenaires sociaux au moment même où ils discutent de la réforme de ce régime unique en Europe.
Nicolas Journet
