On l’appellera Denis. Condamné à huit ans de prison pour viol avec circonstance aggravante, Denis n’a jamais été un grand parleur. Mutique à son arrivée en détention à la maison centrale de Beaulieu, à Caen, il n’avait pas l’intention de s’épancher sur ses actes. Et encore moins face à un thérapeute. « Si je suis allé voir le psy, c’est juste parce que mon avocat m’avait dit que ce serait bien vu lors du procès. » Aller à la rencontre des praticiens n’avait donc rien de spontané. Et pourtant, le déclic a bien eu lieu. C’est « grâce au psy », assure-t-il, qu’il a pu finalement se passer de son traitement. Libéré depuis peu, Denis a choisi de loger face à la prison, histoire d’être suivi par le même thérapeute. « C’est quelqu’un d’important pour moi, explique l’ancien détenu. Au fil des séances, les fantasmes qui m’envahissaient ont petit à petit disparu. » Et le quadragénaire d’ajouter : « J’ai même une copine maintenant ! »
La prison est un lieu à part. À l’enfermement physique s’ajoute souvent l’enfermement psychique. De quoi accentuer le repli sur soi, voire chez certains des tendances paranoïaques latentes. Mais ce lieu peut aussi être l’occasion de rompre avec sa vie d’avant. Notamment grâce au soutien. « Lors d’un geste suicidaire ou d’un moment de conflit aigu, l’écoute empathique que nous offrons aux détenus leur permet de se poser un peu et de dire, qu’au fond, ils ont si peur, ils ont si mal », constate Catherine Paulet, présidente de l’Association des secteurs de psychiatrie en milieu pénitentiaire (ASPMP). « C’est à partir de ce moment-là qu’ils vont s’ouvrir à l’autre, aux regrets, aux remords. » Michel Gironde, longtemps psychologue à la prison de Clermont-Ferrand, ne dit rien d’autre. Il garde en mémoire le cas d’un détenu, condamné pour agression sexuelle sur mineurs, qui a progressivement réussi à mettre des mots sur son mal-être : « C’était un handicapé de la parole, un homme qui n’avait jamais été écouté de sa vie, se souvient le thérapeute. Au fil des séances, il a réussi à verbaliser le fait d’avoir été abusé par sa mère, et à assumer une homosexualité jusque-là refoulée. » Et le praticien d’ajouter : « Sans cette thérapie, il constituerait encore une menace pour d’autres jeunes victimes. Plus maintenant. »
Partir des besoins des détenus
Qu’on ne s’y trompe pas toutefois, psychiatres et psychologues n’ont pas pour mission d’amender les détenus. Si l’institution pénitentiaire a pour objectif de lutter contre la récidive, les praticiens s’inscrivent, eux, dans une logique de soin. Leur vocation première est d’être à l’écoute des détenus, pas de les faire « mentaliser » leur passage à l’acte. « Nous sommes là pour répondre à leurs demandes, explique le psychologue clinicien Stéphane Lagana. La plupart viennent nous voir pour mieux supporter le temps de la détention, rien de plus. Nous aidons évidemment ceux qui le demandent à mettre des mots sur leurs actes, mais ils ne sont pas majoritaires… » En clair, les psys s’adaptent aux demandes des patients, pas aux injonctions du ministère de la justice. « Nous ne dépendons d’ailleurs pas de lui, mais du ministère de la santé », renchérit le praticien.