Psys des villes et psys des champs

Si les villes françaises regorgent de psychologues, les campagnes en sont 
peu pourvues. Pourtant, en milieu rural, l’isolement, le faible accès au soin 
et la précarité tendent à exacerber les difficultés psychologiques rencontrées.

Le milieu urbain compte bien plus de psychologues que d’espaces verts. En milieu rural, c’est un peu l’inverse. Ces professionnels s’y implantent rarement, malgré un besoin croissant de consultations, des diplômés de plus en plus nombreux, et un marché du travail saturé en milieu urbain. Les territoires ruraux ne sont décidément pas du goût de tous. Les raisons sont multiples : crainte de s’isoler, de s’éloigner de ses proches, de cumuler des temps partiels situés aux quatre coins d’une région peu peuplée, de se heurter aux idées reçues sur la profession…

Un paysan sur le divan

Pour d’autres psys, exercer en milieu rural est un choix, une volonté de découvrir un autre rythme, avec d’autres problématiques. « J’ai été diplômée en juillet 2011. J’ai toujours vécu à la campagne, j’ai fait tous mes stages à la campagne en hôpital et en EHPAD, et mon projet professionnel était par conséquent de travailler à la campagne », témoigne Marion Delarce, gérontopsychologue à La Ferrière-aux-Étangs et à Saint-Georges-des-Groseilliers, deux villages de l’Orne, en Basse-Normandie. Parfois même, l’exercice en milieu rural peut être une stratégie. Car, compte tenu de la périlleuse insertion professionnelle qui les attend une fois diplômés, certains recherchent d’emblée des postes éloignés de toute université de psychologie, où la concurrence serait donc quasiment nulle.

Pratiquer en milieu rural n’est cependant pas chose aisée. L’insuffisance des ressources humaines et matérielles revient souvent dans les témoignages de ces psys des champs : « Il y a un manque de professionnels beaucoup plus important que dans les milieux urbains. Par exemple, il est difficile de trouver des pédopsychiatres, des orthophonistes, des psychomotriciennes qui souhaitent venir exercer ici… Ceci complexifie grandement les prises en charge », témoigne anonymement une jeune psychologue qui exerce auprès de jeunes enfants et de personnes vieillissantes en situation de handicap, dans l’Aisne, en Picardie. « Les services publics de soins sont parfois inexistants sur place, il n’y a pas toujours de relais associatif, pas de collègues vers qui orienter, explique Virgile Allemand, qui exerce la psychothérapie dans des villages des Alpes de Haute-Provence. Et il n’est pas toujours aisé de s’adapter à cette population afin qu’une accroche s’opère et qu’un lien de confiance puisse naître. »

Par ailleurs, il faut reconnaître que l’image d’un agriculteur sur le divan fait sourire plus d’un citadin. Bon nombre d’entre eux, psychologues ou non, en ont une vision stéréotypée : « L’idée selon laquelle les agriculteurs, par exemple, ont eux aussi un psychisme n’est pas évidente pour tous. La psychanalyse, dans ses traits les plus caricaturaux, est un truc de citadins friqués, autrefois réservé à la grande bourgeoisie. Freud était d’ailleurs un grand bourgeois viennois, n’ayant pas vécu à la campagne. Et les premiers psychanalystes exerçaient dans leurs luxueux appartements parisiens. Ce n’est que depuis les années 1960 que la psychanalyse a pu être utilisée de manière pragmatique, plus réaliste, dans des institutions de type CMPP, note Jean-Charles Héraut, docteur en psychologie, psychanalyste, formateur-consultant à Anglet, une commune de la région Aquitaine. Par ailleurs, nous savons que la psychanalyse passe par la parole. Or, les paysans ont la réputation d’être taiseux, leur mot d’ordre serait plutôt "Souffre et meurs en silence" ».