Qu'est-ce qu'un trouble mental ?

“Crétin », « débile », « imbécile », « idiot », « dément », « hystérique », « pervers », ces noms d’oiseaux utilisés à tort et à travers appartenaient, au xixe siècle, au registre médical. Ils décrivaient des patients souffrant de symptômes très précisément décrits et répertoriés. Aujourd’hui, d’autres termes spécialisés se galvaudent en passant dans le domaine public : tel ministre bravant l’opinion publique est taxé d’« autiste* », tel salarié se sentant au four et au moulin se décrit comme « schizo », celui qui prend la mouche se voit traiter de « parano »… Pour les personnes réellement concernées, la stigmatisation est une réalité : oser se déclarer dyslexique, par exemple, est humiliant, tandis que s’avouer schizophrène* provoque le vide autour de soi.

C’est dire si les troubles mentaux s’avèrent aussi familiers que méconnus. Les spécialistes eux-mêmes, qu’ils soient psychiatres, psychologues ou psychanalystes, ne les abordent généralement qu’avec prudence, condamnés à remettre sans cesse en question leurs modèles explicatifs, leurs répertoires de diagnostics* et leurs techniques de soin. Suivant l’époque, l’origine présumée du trouble et les théories en vigueur, on a pu en effet traiter la schizophrénie ou la dépression* avec le déclenchement de convulsions par cure de Sakel (injections croissantes d’insuline), des électrochocs, des neuroleptiques, et/ou avec des thérapies psychodynamiques ou humanistes* fondées sur l’usage de la parole. Avec, dans tous les cas, des résultats discutés… Par ailleurs, il n’est pas anodin de décréter un enfant hyperactif ou dépressif et de le placer sous psychotropes. Pas plus que d’essayer de détecter, dès ses 3 ans, une violence excessive. Indépendamment même de ses conséquences, un diagnostic ne va jamais de soi. Il existe en effet plusieurs classifications* des troubles. Celles de l’Association américaine de psychiatrie (APA) et de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) se fondent sur le repérage et le traitement des symptômes, sans présumer de leur origine. Cet angle médical est contesté par nombre de cliniciens français attachés à une approche psychopathologique pour qui le symptôme n’est que l’arbre qui cache la forêt. Et même en s’accordant sur une grille de lecture, plusieurs praticiens ne seront pas forcément d’accord sur un diagnostic. Pour couronner le tout, certains spécialistes sont tentés de parler non plus de « la » mais « des » dépressions, « des » schizophrénies, « des » maladies d’Alzheimer…