Qu'est-ce qu'une éthique de la vie ?

À propos de l’interview de Didier Fassin (« Toutes les vies ne se valent pas… ») parue dans notre mensuel n° 302, avril 2018, Michèle Moulin-Massoni nous a fait part de sa réaction critique.

Bonjour,

Je connais les écrits et les positions de Didier Fassin que je respecte sans toujours les partager. Mais j’ai été profondément choquée par sa réponse à une question.

Question :

Justement, pour les jihadistes, par exemple, qui se tuent avec une ceinture d’explosifs, les moines bouddhistes qui s’immolent par le feu, ou ceux qui se laissent mourir au terme d’une grève de la faim comme cela a été le cas des Kurdes et des Irlandais, la vie est-elle encore le bien suprême ?

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Réponse :

(…) Ce n’est guère différent de ce qui animait les martyrs chrétiens et les résistants français. C’est pourquoi je parle des « éthiques de la vie » au pluriel. Celles et ceux qui sont ainsi prêts à se sacrifier pour leur cause le font au nom d’une certaine éthique de la vie, qu’il faut savoir reconnaître pour ce qu’elle est, quand bien même elle heurte la nôtre.

La question déjà me semble ambiguë : les jihadistes se sacrifient certes, mais après avoir tué un maximum d’innocents. Quel rapport ont-ils avec les moines bouddhistes ou les grévistes de la faim ? La réponse, quant à elle, me paraît scandaleuse : avant d’être mus par une volonté de sacrifice, les jihadistes sont d’abord animés par la volonté de tuer, et de tuer des innocents parmi lesquels des enfants sont délibérément ciblés. Mais peut-être D. Fassin considère-t-il que ces très jeunes enfants juifs sont des victimes collatérales de la tragédie palestinienne, dont il a une vision quelque peu manichéenne ? Les résistants français, il me semble, n’ont jamais assassiné froidement des femmes ou des enfants allemands, et je me demande ce que ceux qui sont encore vivants pensent de se voir comparés aux jihadistes. Une comparaison de ces derniers avec les nazis me semblerait plus appropriée (idéologie mortifère, déshumanisation de l’autre, antisémitisme). Le jour où les jihadistes ne sacrifieront que leur propre vie, on pourra, me semble-t-il, parler en ce qui les concerne d’une éthique de la vie. En effet, si l’on suivait le raisonnement de D. Fassin, tout soldat prêt à perdre la vie et à tuer aurait une éthique de la vie : les jihadistes qui se voient comme des combattants, mais aussi les soldats russes, américains, coréens, israéliens, tous ceux qui ne sont pas contraints ou mercenaires. Mais peut-être ai-je mal compris ? D. Fassin peut-il développer et expliquer son raisonnement avec franchise et clarté, je crois que je ne serai pas la seule à lui en savoir gré.