Les sociétés européennes se découvrent aujourd'hui aux prises avec des conflits interculturels. On songe, dans le cas de la France, à la question du port du voile à l'école. Dans l'Hexagone, la chose semble être entendue : le voile est une revendication particulariste qui menace le principe universel de laïcité. Le livre d'Alain Bastenier invite à réexaminer la question : s'agit-il bien d'un conflit entre particularisme et universalisme, ou bien assiste-t-on à l'affirmation ethnique de deux groupes en interaction, l'un majoritaire et dominant, l'autre minoritaire et dominé ? « Qu'est-ce qu'une société ethnique ? » interroge l'auteur. Ce n'est pas, ou pas seulement, la coprésence sur le même territoire national de groupes culturels distincts. C'est une certaine configuration des rapports sociaux où les groupes en présence misent sur des actions dans l'espace symbolique, celui de la définition de soi et des autres, pour renforcer leurs positions statutaires dans la société. Le déclin de la société industrielle, d'une conflictualité essentiellement inscrite dans le domaine politico-économique, d'un côté, l'intensité des flux migratoires qui accompagnent la mondialisation, de l'autre, expliquent cette nouvelle configuration du conflit social. En cela, l'analyse de A. Bastenier n'est pas sans rappeler celle d'un Michel Wieviorka. Elle s'en distingue par son interactionnisme, hérité de l'anthropologue norvégien Fredrik Barth. L'ethnicité se construit à la frontière des groupes en présence, par « l'action conjointe des vieux établis et des nouveaux arrivants », chacun réagissant aux manifestations de l'autre. Il y a, pour A. Bastenier, une « ethnicité » du groupe dominant qui protège ses positions en tentant de se démarquer des immigrés, fuyant les quartiers où ils deviennent trop nombreux, les écoles « trop mélangées ». A cela répondent les immigrés et leurs enfants, en revendiquant la construction de mosquées, par l'« ostentation » de signes vestimentaires et autres « incivilités ».
Marc Olano