Dans les cas sévères d’héminégligence, les personnes atteintes peuvent ne pas se raser ou ne pas se maquiller le côté gauche du visage, par exemple. Lors de leurs déplacements, elles se cogneront régulièrement contre la partie gauche des portes et des pièces. Et si une autre personne, située à leur gauche, les appelle, elles pourront ne pas répondre, voire répondre à quelqu’un qui n’a pas sollicité leur attention mais qui se trouve à leur droite. « Surtout en phase aiguë après un accident vasculaire cérébral, certains patients ont le regard et la tête continuellement tournés vers la droite », précise en outre le professeur Paolo Bartolomeo, neurologue, directeur de recherche au sein de l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM - Paris).
Historiquement, ces troubles ont d’abord été attribués à une déficience visuelle, l’hémianopsie. Autrement dit, une perte de la vue touchant la moitié gauche du champ visuel. Il n’en est rien, et l’héminégligence est considérée aujourd’hui comme un trouble cognitif. L’héminégligence gauche est un déficit fréquent mais largement méconnu, y compris des cliniciens. On estime qu’environ la moitié des patients qui ont subi une lésion hémisphérique droite ayant donné lieu à une hémiplégie gauche peuvent présenter des signes de négligence. Selon les cas, ceux-ci disparaîtront rapidement ou persisteront durant des mois, des années ou toute la vie.
Federico Fellini, héminégligent
Le grand cinéaste Federico Fellini souffrait d’héminégligence à la fin de sa vie, à la suite d’un accident vasculaire cérébral. Caricaturiste pour des journaux satiriques durant sa jeunesse, il avait gardé le goût du dessin. Mais ce qu’il produisait à la demande des cliniciens était empreint d’une omission des détails du côté gauche. Lorsqu’on le soumettait au test de la bissection – scinder en son centre une ligne horizontale –, Fellini effectuait un trait vertical déporté vers la droite, comme s’il n’avait pas pris en compte la partie gauche de la ligne. Ce n’est pas tout : l’ancien cinéaste avait pris l’habitude de réaliser de petits dessins sur les lignes du test. Comme on s’en doute, il les plaçait presque toujours du côté droit. Mais, de surcroît, la partie gauche des dessins manquait. « On parle alors d’une négligence basée sur l’objet, précise Paolo Bartolomeo. Dans ce cas, la négligence ne porte pas seulement sur une fraction plus ou moins étendue de l’espace défini par la moitié gauche du champ visuel, mais concerne aussi l’espace à l’intérieur même des objets. »
Fellini avait une conscience de type intellectuel de sa maladie, au point de proposer avec humour qu’on écrive sur ses cartes de visite : « Federico Fellini, héminégligent ». En revanche, il ne présentait aucune conscience directe de ses manifestations. Par définition, l’anosognosie– le fait qu’un patient n’ait pas conscience de ses déficits ou n’en possède qu’une conscience limitée –fait partie intégrante du tableau de l’héminégligence. Sinon la personne atteinte se contraindrait à prendre en considération la fraction de son champ visuel dont elle néglige de tenir compte.