Quand la psychanalyse aide à mourir...

Si beaucoup commencent une analyse dans l’espoir d’aller mieux, d’autres le font alors même qu’ils savent qu’ils vont mourir bientôt. Quel accompagnement psychique la psychanalyse peut-elle proposer aux mourants ? Faire une analyse non pas pour guérir mais pour mieux vivre sa mort, est-ce vraiment utile ?

Commencer une analyse, c’est souvent une question de vie ou de mort. « Je viens vous voir parce que le bureau me rend fou, je n’en peux plus ! », « Je viens vous voir parce que j’ai peur de la mort », « Je viens vous voir parce que je suis foutu, tout seul je ne m’en sors plus », « Je viens vous voir parce que X m’a quitté et j’ai envie de me balancer par la fenêtre ». Dans une analyse, il va toujours s’agir à un moment donné de consentir à perdre quelque chose, voire de le laisser pour mort, pour pouvoir ensuite avancer dans l’existence : ainsi d’une personne qui, par exemple, vivait avec un symptôme déplaisant depuis des années, ou qui a toujours vécu dans le chagrin d’un deuil jamais liquidé ou d’une rupture amoureuse jamais digérée, et qui, tout à coup, arrive à se débarrasser de ce qui l’encombrait. Se débarrasser d’un symptôme passe toujours par la nécessité de faire le deuil de son symptôme. Mais il arrive aussi que cette question de la mort n’ait rien de symbolique et se pose très concrètement, très réellement. Ainsi en est-il des individus qui, tout à coup, apprennent qu’il ne leur reste probablement plus que quelques semaines ou quelques mois à vivre.

Découvrir que l’on a une maladie grave, potentiellement mortelle, entraîne des répercussions psychiques conséquentes et beaucoup d’angoisse – non seulement chez l’individu lui-même, mais aussi chez ses proches voire chez ses collègues. Psychanalyste, membre d’espace analytique et du cercle freudien, Andrée Lehmann a travaillé pendant des années en cancérologie à l’Institut Gustave Roussy de Villejuif. Évoquant, dans L’Atteinte du corps, (Ères, 2014, voir les bonnes feuilles dans le Cercle Psy n°15), le cas de femmes atteintes d’un cancer du sein, elle insiste sur la nécessité d’un accompagnement psychologique dès l’annonce du résultat. « Le médecin qui révèle à son patient qu’il a un cancer lui signifie par là même qu’il ne fait plus partie du monde des bien portants ». Que la certitude de la guérison ne soit plus garantie par « le contrat de confiance » qui lie le patient à son médecin, et voilà qu’un cortège d’angoisses se bousculent au portillon : peur d’être mutilé, peur de perdre ses cheveux, peur de perdre son travail, peur de perdre l’amour de son partenaire ou de son conjoint ou de ses enfants, peur de se dégrader physiquement, peur de la prolifération exponentielle des cellules cancéreuses qui ne se décèlent que « trop tard ». En fonction de son histoire personnelle, chaque individu sera confronté à telle ou telle de ces angoisses de façon plus ou moins vive. Pour une femme, apprendre qu’elle a un cancer du sein, va la toucher « aux points les plus vifs de son existence : la féminité, la maternité, le couple, la sexualité ». Certaines patientes en sont tellement affectées, qu’elles vont jusqu’à cliver : une partie d’elles va dénier totalement la maladie. Andrée Lehmann cite le cas d’une femme en proie à un tel choc émotionnel suite à l’annonce de son cancer du sein qu’au cours d’une même consultation, elle « parlera très précisément de sa maladie » puis demandera « une minute plus tard : ‘’Mais dites-moi, en somme, qu’est-ce que j’ai vraiment comme maladie ? ‘’ »