Quand le coronavirus menace nos vies privées Entretien avec Judith Rochfeld

Ruée sur des applications peu respectueuses de nos données personnelles, projet de traçage sanitaire des individus : la crise actuelle ouvre la porte à des possibles dérives. Face à ce danger, la juriste Judith Rochfeld invite à la vigilance et appelle de ses vœux un débat démocratique.

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Judith Rochfeld est professeure de droit privé à l’université Paris-I. Spécialiste, entre autres, du droit des données personnelles, elle a codirigé en 2019 les ouvrages Droit des données personnelles. Les spécificités du droit français au regard du RGPD (Dalloz, 2019), et Les Défis sectoriels du RGPD (LexisNexis, 2019)


Le confinement s’est accompagné d’une ruée sur les applications de partage de vidéo, de cours en ligne, de réseaux sociaux. Ce mouvement vous inquiète-t-il ?

Oui. Je constate avec crainte que les gens se précipitent sur certaines applications, en étant peu attentifs aux avantages et inconvénients de ces outils. Du fait de l’urgence, et parce que ces outils sont extraordinairement conviviaux, utiles et efficaces, beaucoup ne font pas l’effort de vérifier la politique de protection des données de ces applications. Pourtant certaines posent de nombreux problèmes. On le voit avec l’un des outils massivement téléchargé qu’est Zoom. Zoom est une application qui permet de faire des réunions ou des cours et qui est très utilisée en milieu professionnel. Or on a découvert que les données des utilisateurs avaient été transférées à d’autres acteurs comme Facebook, même dans le cas des personnes qui n’étaient pas abonnées à ce réseau social. Diverses autorités ont été saisies : aux États-Unis, des actions ont même été engagées. Zoom a modifié ses conditions générales, mais on ne sait pas ce qu’il en est de ses pratiques réelles. Par ailleurs, il faut ajouter que l’on y a découvert des failles de sécurité : des hackers peuvent s’introduire dans les ordinateurs des utilisateurs et profiter par exemple des enregistrements faits par la caméra. Or des données sensibles sont véhiculées dans nos dialogues et nos vidéos, d’autant que par la force des choses nous mélangeons actuellement les espaces privés, professionnels, sanitaires. Il existe pourtant d’autres outils qui fonctionnent comme BBB [NDLR : Big Blue Button] pour l’enseignement supérieur, avec des tchats, Jitsi, etc. Ces outils peuvent avoir quelques faiblesses de temps en temps, et ne sont pas forcément aussi faciles à utiliser que d’autres pour les échanges de groupes, mais il est discutable de ne pas s’en servir.