Être une femme en 2014 implique (encore) de rencontrer plus de difficultés au quotidien qu’un homme. Et pas nécessairement plus loin qu’en France. Certains froncent peut-être les sourcils, pensant : « Il ne faut pas exagérer non plus ! En France, justement, il y a l’égalité de droits, après tout… » Alors mettons-nous directement dans l’ambiance : les femmes gagnent en moyenne pour chaque heure de travail environ 16 % de moins que les hommes, dixit la Commission européenne 1. Elles ne représentent que 32 % des emplois d’encadrement et de direction de la fonction publique en France alors qu’elles sont largement majoritaires dans l’ensemble des effectifs. Elles ne représentent que 20 % des prises de paroles de « spécialistes » dans les médias, et passent quatre fois plus de temps que les hommes à faire le ménage, selon le ministère des Droits des femmes 2… L’égalité des droits s’avère donc une victoire majeure et nécessaire, mais pas suffisante. Mais comment de telles inégalités restent-elles possibles ? Les sexistes sont-ils au pouvoir ?
« Le format du sexisme a évolué avec le temps, explique André Ndobo, maître de conférence en psychologie sociale à l’Université de Nantes et auteur de Les Nouveaux Visages de la discrimination (De Boeck, 2010). Il est plus difficile à détecter. Les enquêtes d’opinions indiquent par exemple que le sexisme a diminué, alors qu’on relève par ailleurs de plus en plus de plaintes pour discrimination, pour l’accès à l’emploi notamment. Cela veut donc dire qu’il y a une évolution du contenu mais aussi de la façon dont s’expriment les discriminations. Et la recherche scientifique a dû affiner ses méthodologies pour identifier ce qui relève du sexisme. » Soit, pour faire simple : tout est complexe…
Une attitude ambiguë
« Aujourd’hui, poursuit André Ndobo, on peut considérer qu’il y a environ un tiers de sexistes assumés, un tiers de non-sexistes assumés, et un tiers d’ambivalents. » D’où une distinction possible. D’une part, il existerait un sexisme classique, selon lequel les inégalités entre femmes et hommes sont naturelles en raison des différences biologiques et le combat pour l’égalité ainsi inutile. D’autre part, le sexisme moderne ou ambivalent, qui se caractérise par une attitude ambiguë : les individus condamnent les discriminations subies par les femmes… mais persistent dans leur mépris envers elles. C’est sur ce phénomène que se porte aujourd’hui l’attention des chercheurs, le sexisme classique étant en voie d’extinction avec l’arrivée des nouvelles générations et l’évolution des mentalités. Le sexisme ambivalent est donc complexe. Dans son évaluation notamment. « Les gens sont plus prudents dans l’espace public pour exprimer leurs préjugés ou discriminer. La science a dès lors dû user de nouvelles techniques de mesures, telles que les mesures implicites », note André Ndobo. Une étude montre par exemple que, sur le plan verbal, des participants (masculins et féminins) évaluent de manière identique des leaders féminins et masculins, mais que leur comportement non verbal (expressions faciales, regards, postures, etc.) est, lui, plus négatif envers les leaders féminins 3. C’est une inégalité automatique. Elle se provoque malgré soi. Avec deux constats effrayants : elle est produite par des personnes qui croient très sincèrement à l’égalité entre les femmes et les hommes, et les femmes elles-mêmes n’y échappent pas.