Quand les catastrophes saisissent la mémoire

Comment les collectivités humaines appréhendent-elles les risques et les menaces qui pèsent sur elles ? Comment réagissent-elles aux catastrophes naturelles, sanitaires ou industrielles qui périodiquement les frappent ? Ces questions ont été examinées au cours d’une journée d’étude à l’EHESS le 3 avril dernier. On sait que l’être humain se satisfait difficilement du probabilisme des experts scientifiques. En cas d’événements graves et inopinés – passé un premier moment de sidération –, le besoin d’interpréter les faits déclenche spéculations et tentatives de rationalisation. Or il semble que cette activité puise plus souvent dans la mémoire collective que dans l’imaginaire.
Ainsi, Vanessa Manceron (CNRS), à propos d’une alerte à la grippe aviaire déclenchée dans la région des Dombes en 2006, a pu en faire le constat. Dans ce cas, le risque était un virus invisible venant du ciel, potentiellement véhiculé par les oiseaux migrateurs séjournant dans la zone. En fait, les seules conséquences observables étaient d’origine humaine : interventions de gendarmes, limitation d’accès aux zones humides, mesures de contrôle, interdiction du commerce des volailles d’élevage et de leurs sous-produits, rupture de la vie sociale. Le souvenir est revenu aux habitants de la période de l’occupation allemande, avec ses barrages sur les routes. Le tout fut interprété comme une prise de pouvoir des citadins sur les paysans, en même temps qu’une vengeance de la nature sauvage contre les agriculteurs. Pour les ruraux, la pandémie virtuelle semblait une alliée providentielle du complot écologiste globalement ourdi contre eux.
Véronique Rochais, doctorante en ethnologie, a quant à elle étudié les réactions suscitées par le crash aéronautique du 16 août 2005 à Panama, qui fit 160 morts, presque tous martiniquais. Les cérémonies consécutives débouchèrent sur une sorte de deuil national. L’œcuménisme religieux, le rappel de l’esclavage, l’évocation des racines africaines participèrent d’une célébration rituelle grandiose, inscrivant cet événement accidentel dans une longue lignée de malheurs et de persécutions : l’explosion de la montagne Pelée, la traite atlantique, jusqu’à la malédiction de Cham, sous laquelle le destin martiniquais se retrouvait donc placé.
Ainsi, sur le modèle de ce qu’écrivait Éric Fassin de la maladie, dans ces deux cas, les catastrophes n’inventent pas : elles révèlent ce qui était déjà là.

Cécile Quesada, Violaine Girard, Sandrine Revet et al., « Catastrophes et risques : regards anthropologiques », journée d’étude, EHESS, Paris, le 3 avril 2008.