Dans le silence de la communauté internationale, les immolations par le feu se multiplient au Tibet depuis 2009. Jusque-là, toutes s’étaient déroulées dans les provinces traditionnelles orientales, mais depuis quelques mois, le phénomène touche aussi Lhassa, la capitale. Près de six cents Tibétains y auraient été arrêtés, le 27 mai, par le gouvernement chinois.
Depuis, il est difficile de savoir ce qu’il en est, la ville restant fermée aux étrangers. Ces arrestations en série ne suffisent pas à réprimer le phénomène, qui se présente comme une forme de défiance contre la domination chinoise, présente depuis une soixantaine d’années. Quel est le lien entre politique et religieux dans le phénomène des immolations ? C’est ce que nous avons demandé à l’anthropologue Katia Buffetrille, spécialiste du Tibet à l’Ecole pratique des hautes études.
Quelles sont les causes des immolations récentes ?
Elles n’ont pas des causes différentes des immolations antérieures. Tous ceux qui ont laissé des testaments appellent à l’unité du peuple tibétain, à ne pas se battre entre eux, à respecter leur langue et, surtout, à sauvegarder la culture tibétaine. Actuellement, il y a eu quarante-et-une immolations au Tibet et cinq chez des Tibétains en exil. La première immolation a eu lieu à Delhi, en 1998. Elle a été le fait d’un réfugié qui se proposait de participer au mouvement de grève de la faim jusqu’à la mort lancé par le Tibetan Youth Congress. La police indienne est intervenue pour faire cesser le mouvement et Thubten Ngödrup s’est alors immolé par le feu à New Delhi. Il n’y a plus eu aucune immolation ensuite jusqu’en février 2009 où un moine du monastère de Kirti (district de Ngawa, actuelle province du Sichuan) s’est immolé. Le monastère de Kirti et le district de Ngawa sont devenus les lieux où le plus grand nombre d’immolations a eu lieu. En mars 2011, un moine de Kirti s’est à nouveau immolé. Puis, ces immolations se sont succédé en 2011 et 2012. La plupart sont le fait de religieux mais le nombre de laïcs augmente régulièrement. Les deux jeunes Tibétains qui se sont immolés ce 28 mai à Lhasa étaient, l’un, un ancien moine du monastère de Kirti et le second, un laïc originaire de Labrang, dans le Gansu. Ils se sont sacrifiés sur la place du Jokhang, le temple le plus sacré du Tibet qui abrite la statue la plus vénérée des Tibétains. Le 30 mai, dans la région de Ngawa, où se situe le monastère de Kirti, une laïque, mère de trois enfants, s’immolait. Le 15 juin, un nomade de Chentsa, non loin de Rebgong, s’est immolé à son tour. Le 20 juin, ce sont deux hommes d’une vingtaine d’années qui sont passés à l’acte à Jyekundo (Kham). Tous, sans exception, sont nés au Tibet et ont été éduqués en République populaire de Chine.