La parution en 1971 de Théorie de la justice est l’un des grands événements de la philosophie politique contemporaine. Le philosophe américain John Rawls y soutenait notamment que les inégalités socioéconomiques ne sont acceptables que si elles induisent en compensation des avantages pour les membres les plus défavorisés et si l’on respecte le principe d’égalité des chances. Il posait à nouveaux frais les critères de la redistribution des biens.
Sa théorie suscita de nombreux débats. Les communautariens en particulier lui reprochèrent d’avoir une approche trop abstraite de l’individu, le pensant indépendamment de la communauté et des valeurs auxquelles il est attaché. Charles Taylor lui opposa ainsi une théorie multiculturaliste privilégiant la question de la reconnaissance des identités culturelles.
À partir des années 1990, la reconnaissance devint l’un des concepts-clés de la pensée politique au point de faire parfois de l’ombre à la question de la redistribution. Axel Honneth défend pour sa part une conception beaucoup plus ouverte de la reconnaissance que celle des multiculturalistes soucieux surtout des identités collectives. Pour le philosophe allemand, la reconnaissance est plus fondamentalement ce dont chaque individu a besoin pour s’épanouir. En ce sens, se sentir aimé, respecté par le droit ou utile à la collectivité sont autant de principes indispensables qui déterminent les attentes légitimes de chacun.
Si Nancy Fraser reconnaît l’importance de la reconnaissance, elle n’entend pas en faire la clé de voûte de sa théorie sociale. Si elle partage avec A. Honneth le souci d’offrir une conception assez large pour prendre en compte les considérations économiques, culturelles, juridiques et politiques, elle n’entend pas proposer comme lui une théorie de ce qu’est une vie bonne, mais offrir à chacun la possibilité de déterminer ses propres aspirations.