Dans la pratique quotidienne des psychologues ou des éducateurs, que vaut finalement une notion aussi difficile à définir, à observer, à évaluer, à développer, qui de surcroît ne se manifesterait que de façon irrégulière ? De l’aveu même de Boris Cyrulnik, donner une « définition précise » de la résilience demeure « hasardeux (1) ». Le même mot peut s’appliquer à différentes situations selon les auteurs. Pourtant, faire contre mauvaise fortune bon cœur face au stress des tracas quotidiens n’a rien à voir avec le fait de réapprendre à vivre après un deuil ou un accident grave. La résilience n’est pas toujours perçue comme un concept scientifique, puisque chacun peut la voir à sa porte : elle évoque partiellement le coping, mais aussi les mécanismes de défense pour la psychanalyse, elle s’inscrit tout à fait dans les objectifs de la logothérapie, qui, fondée par Viktor Frankl, seul survivant de sa famille à la déportation, vise à attribuer un sens à ce que nous vivons, y compris à nos échecs… On parle même de résilience dans le couple ou l’entreprise ! B. Cyrulnik interprète ce « halo sémantique » comme la rançon d’un succès rapide, et de la transdisciplinarité de la résilience qui intéresse potentiellement toutes les obédiences psychologiques et médicales. Rien de tout cela, pour lui, ne la disqualifie.
Pour le psychiatre et psychanalyste Serge Tisseron, tout au contraire, la résilience n’aurait jamais rencontré une telle audience œcuménique sans sa nébulosité. Dans un article dont le titre seul résonne comme une charge ((2), il soupçonne la résilience d’être la transposition édulcorée du darwinisme social, où les plus adaptés (ici les plus résilients) seraient encouragés à surpasser les plus faibles. Ailleurs, il estime que l’éventuelle évaluation de la résilience dans un cadre scolaire pourrait faire repérer les enfants nécessitant davantage de surveillance. Loin d’être un outil de prévention, le repérage des facteurs de risque et de protection pourrait selon lui constituer (3). Les enseignants, croyant bien faire, établiraient en réalité des pour (4). La théorie du complot n’est pas loin.Ces querelles parfois byzantines illustrent que le débat suscité par la résilience n’est pas purement clinique, mais également idéologique et politique. Le concept vient de la culture anglo-saxonne qui privilégie souvent des approches axées non sur la psychopathologie, mais sur la santé mentale. Psychologie humaniste, psychologie positive, développement personnel tentent de cerner les techniques d’épanouissement de l’individu en privilégiant la mobilisation de ses ressources. Or, tout comme les réflexions sur le statut de psychothérapeute, l’évaluation des thérapies, l’influence des facteurs génétiques et neurodéveloppementaux sur les troubles psychiques, la résilience, en France, rime pour certains avec néolibéralisme, politique sécuritaire, fichage des individus et déterminisme biologique… Un paradoxe lorsqu’aux États-Unis les tenants de la résilience expliquent précisément que rien n’est jamais joué.
(1) Boris Cyrulnik et Jean-Pierre Pourtois (dir.), École et résilience, Odile Jacob, 2007.(2) Serge Tisseron, « Ces mots qui polluent la pensée. “Résilience” ou la lutte pour la vie »,, n° 593, août 2003.(3) Serge Tisseron, ,Puf, coll. « Que sais-je ? », 2007.(4) Pour l’exposé du débat entre Boris Cyrulnik et Serge Tisseron, voir Joyce Aïn (dir.), , Érès, 2007.