Qui gouverne le monde ? Entretien avec Pierre Hassner

Né en 1933 à Bucarest, en Roumanie, Pierre Hassner est l’un des meilleurs spécialistes français des relations internationales. Il est l’auteur de nombreux ouvrages où il explore les évolutions du monde à la lumière de la philosophie et de l’histoire (La Revanche des passions : métamorphoses de la violence et crises du politique, Paris, Fayard, 2015).


Le Proche-Orient explose, la Russie s’arme, la Chine menace ses voisins, l’Afrique de l’Est souffre… Mais qui pilote le monde ? Plus personne, affirme Pierre Hassner. Bienvenue dans le « désordre » mondial.

Vous avez récemment annoncé la mort du « nouvel ordre mondial », né après la guerre froide et placé sous l’égide de l’Onu 1. Pourquoi ce modèle a-t-il échoué ?

Pour répondre à votre question, il faut revenir au moment de la création de l’Onu. Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Roosevelt a imaginé quatre gendarmes – les États-Unis, la Grande-Bretagne, la Russie et la Chine – qui feraient régner l’ordre et assureraient la sécurité. C’était en contradiction avec l’idée d’une organisation démocratique où tous les pays auraient les mêmes droits et il fallut arriver à un compromis. Ce fut la création du Conseil de sécurité avec cinq membres permanents disposant d’un droit de veto et de dix membres tournants.

Ce compromis initial a empêché l’Onu d’intervenir là où elle aurait dû. Tout au long de la guerre froide, Occidentaux et Russes se sont opposés à coups de droit de veto… La première responsabilité de l’Onu, celle de protéger les populations, n’a fonctionné que de manière très chaotique : les Occidentaux sont intervenus militairement au Kosovo sans mandat du Conseil de sécurité ; les Russes ont détruit la Tchétchénie, les Chinois sont impassibles sur le Tibet et en conflit avec nombre de leurs voisins…