Une des ambitions premières de la théorie de la justice de John Rawls était d'élaborer « la base morale qui convient le mieux à une société démocratique ». Dans cette optique, son hypothèse de la « position originelle » - situation fictive où les partenaires sont placés dans une situation d'égalité pour décider des termes de leur coopération - permettait de penser ce que pourraient être des rapports entre citoyens égaux.
L'essai de Bertrand Guillarme montre que, si la réciprocité doit régir les rapports entre citoyens égaux, on a affaire à une formulation contractualiste de l'égalité démocratique, en ce qu'elle institue une codélibération basée sur la reconnaissance mutuelle. La question centrale de l'ouvrage devient alors : quels principes doivent régir les pratiques des citoyens qui se reconnaissent mutuellement comme égaux ? En refusant d'opposer égalité et équité, l'auteur se distingue de tous ceux qui n'ont vu en l'oeuvre de Rawls qu'une théorie sociale capable de réconcilier justice et efficacité économique par le truchement de l'équité.
Ces lectures induisent, selon B. Guillarme, une interprétation inégalitaire du second principe de justice (le « principe de différence »), qui autorise d'importantes inégalités de richesse au nom de la croissance et de la production. Le principal mérite de l'auteur réside dans la façon dont il met en évidence les limites de cette analyse économiste, ainsi que dans ce qu'il ajoute à la théorie de Rawls. Le principe de valorisation du travail qu'il avance vient « compléter les principes de justice pour assurer à chacun les bases sociales du respect de soi-même ».