Rencontre avec Jeremy Rifkin : La troisième révolution industrielle est en marche

L’humanité peut sortir de la crise globale – économique, climatique, sociale… – dans laquelle elle est plongée, prophétise Jeremy Rifkin. 
À condition qu’elle sache modifier, de manière volontariste et concertée, 
la distribution et la production d’énergie.

Vous annoncez dans votre dernier livre l’imminence d’une « troisième révolution industrielle ». Qu’entendez-vous par là ?

Il faut d’abord bien comprendre le terme de révolution industrielle. La naissance d’une révolution industrielle est liée à la conjonction de deux éléments : l’émergence de nouvelles technologies de l’information et l’apparition d’une nouvelle donne énergétique. C’est grâce à la mise en place d’infrastructures d’énergie et de communications que peut s’instaurer une croissance à long terme. Celle-ci débouche sur une nouvelle ère économique, qui bouleverse les relations sociales et politiques d’un pays et, in fine, l’ordre géopolitique mondial. Au XIXe siècle, la technologie de la machine à vapeur a permis l’essor de l’imprimerie, qui a servi de socle à la première révolution industrielle. La diffusion de l’imprimé a encouragé l’alphabétisation de masse via l’avènement d’une école publique dont le but était de former une main-d’œuvre capable de maîtriser les opérations complexes d’une économie du rail et de l’usine, alimentée en charbon et propulsée à la vapeur. Au début du XXe siècle, la communication électrique (le téléphone, la radio puis la télévision) a convergé avec le moteur à combustion interne pour engendrer la deuxième révolution industrielle. On a alors pu produire en série et consommer en masse. Les repères spatiotemporels ont été modifiés par l’automobile. On a construit des autoroutes, les gens sont venus s’installer dans de nouvelles zones suburbaines : ces changements ont remodelé la société et créé un réseau de communications capable de gérer les activités géographiquement dispersées de l’âge du pétrole et de la voiture.

La deuxième révolution industrielle vit-elle ses derniers jours ?

Absolument. La quasi-totalité de l’activité mondiale dépend du pétrole et des autres énergies fossiles. Nous cultivons nos aliments avec des engrais et des pesticides pétrochimiques ; la plupart de nos matériaux de construction (béton, plastiques…) sont faits de combustibles fossiles, ainsi que la plupart de nos produits pharmaceutiques. Nos vêtements sont composés, pour l’essentiel, de fibres synthétiques issues de la chimie du pétrole. Nos moyens de transport, notre électricité, notre chauffage, notre éclairage… : tout repose sur les énergies fossiles. Or ce mode de vie n’est plus soutenable. La deuxième révolution industrielle est à bout de souffle. Il est de plus en plus coûteux de produire de l’énergie à partir d’hydrocarbures. Le décollage de l’Inde et de la Chine a accéléré l’agonie du modèle sur lequel nous avons fondé toute notre infrastructure industrielle. L’accroissement de la demande a fait flamber les cours du brut, ce qui a entraîné la hausse des prix de très nombreux biens et services, la chute de la consommation et du pouvoir d’achat et, pour finir, la panne économique mondiale de ces dernières années. Le chômage grimpe à des niveaux vertigineux. États, entreprises et consommateurs sont criblés de dettes. C’est un cycle infernal. Le pétrole cher représente pour les pays de l’OCDE une perte de 0,5 % de PIB. Quant au changement climatique, provoqué par l’activité industrielle, la menace se rapproche, et bien plus rapidement que prévu. Bref, il n’est plus possible de baser la croissance mondiale sur les énergies fossiles.