Comment la criminologie appréhende-t-elle le phénomène criminel ?
Elle l'appréhende d'abord de manière empirique. La criminologie est une méthode qui permet de mesurer et d'observer les phénomènes criminels dans leur diversité. Traditionnellement les statistiques de la criminalité, surtout celles recueillies par la police, sont l'une de nos sources les plus importantes. Mais deux mesures plus récentes ont permis à notre discipline de faire un véritable bond en avant. D'une part, les sondages de victimation - qui consistent à demander à un panel d'individus s'ils ont été victimes, sur une période donnée, de vols, de cambriolages, agressions - permettent de mieux connaître leurs réactions aux crimes subis. D'autre part, les questionnaires de délinquance autorapportée consistent à interroger des individus sur leur activité (ou absence d'activité) délinquante : ont-ils déjà volé une voiture, agressé quelqu'un, etc. ? Ces deux mesures complètent le tableau pour le rendre le plus juste possible.
Egalement, les criminologues interrogent les délinquants pour comprendre la façon dont ils vivent leurs expériences, leur rapport à leur activité criminelle. Mais cette discipline va au-delà de ces centres d'intérêt, aussi importants soient-ils. La connaissance du phénomène criminel ne peut être entendue uniquement comme l'action criminelle ou délinquante, elle intègre aussi tout ce qui s'y rapporte. Par exemple, la sanction pénale et l'ensemble des réactions sociales face aux crimes et délits font partie intégrante de notre objet d'étude, dans la mesure où le crime se définit, entre autres, par rapport à la peine, comme le disait Emile Durkheim. Pour résumer, la criminologie s'intéresse à trois catégories d'acteurs : le délinquant, la victime, et ceux qui prétendent exercer un contrôle de l'activité criminelle (policiers, juges...).
L'objectif principal ne reste-t-il pas de comprendre la logique de l'acte criminel ?
La criminologie traditionnelle s'y intéressait, bien sûr, mais aussi au délinquant lui-même, pour tenter de le réhabiliter, de le traiter, de chercher les meilleures possibilités de réinsertion sociale. La visée traditionnelle est longtemps restée marquée par l'apport de Cesare Lombroso, professeur de médecine légale inspiré par Charles Darwin. Il a publié en 1875 L'Homme criminel dans lequel il livre sa vision du criminel, qui appartiendrait à une sous-espèce primitive d'Homo sapiens et se différencierait de l'homme normal par des stigmates physiques (petit cerveau, menton en retrait, mâchoires énormes, etc.) et des traits psychologiques (insensible, impulsif, sensuel...). Controversé à l'époque, très critiqué depuis, ce fondateur de la criminologie a néanmoins marqué par son empirisme. Il parlait lui-même de « l'observation à outrance » et, de ce point de vue, nous restons des descendants de C. Lombroso. Il s'intéressait à l'homme criminel avec une double perspective : diagnostiquer la nature même du trouble criminel pour pouvoir « neutraliser » les délinquants, mais aussi les réhabiliter. Par la suite, d'autres dimensions se sont ajoutées, impliquant d'autres questionnements. Par exemple dans le cadre de la théorie de la dissuasion sociale : la certitude de la peine peut-elle faire reculer la délinquance ? Comment les criminels perçoivent-ils les risques auxquels ils s'exposent ? La criminologie s'intéresse de plus en plus à l'efficacité des mesures pénales ou à la prévention situationnelle. Par prévention situationnelle, il faut entendre toutes les mesures qui compliquent le travail des délinquants ou qui réduisent leurs gains (par exemple des antivols placés sur la colonne de direction des voitures).
Les développements récents se situent du côté de la police et de la sécurité privée, en plein essor en Europe et en Amérique du Nord. Les criminologues tentent d'être présents là où la question criminelle se pose, donc s'intéressent à ceux qui y sont confrontés en permanence. Nous cherchons par exemple à faire la jonction entre la prévention situationnelle et la sécurité privée (l'une des missions des agents de sécurité étant justement de prévenir les délits). Une part importante de l'investissement des sociétés occidentales est consacrée au terrorisme ; par exemple, les contrôles dans les aéroports ressortissent à la prévention et sont gérés par la sécurité privée. Dernièrement, je me suis intéressé à la contribution de la technologie à la sécurité. Je ne suis pas le seul, car un développement récent en criminologie consiste à évaluer, avec des méthodologies scientifiques, l'efficacité de diverses mesures de prévention : on mesure, par exemple, le nombre de délits commis avant et après la mise en place d'une de ces mesures. La discipline évolue vers une criminologie expérimentale, intégrant une démonstration scientifique, qui apporte en retour une contribution aux connaissances théoriques. Par exemple, si démonstration est faite que la vidéosurveillance, dans telle situation, est efficace, des propositions relatives au choix rationnel s'en trouvent validées : les criminels sont sensibles au risque qu'ils perçoivent avec la présence d'une caméra de surveillance. Les recherches expérimentales font donc avancer les pratiques de prévention et de répression autant que la théorie criminologique.