Rénover la démocratie

Comment revitaliser la démocratie ? Plusieurs réformes institutionnelles pourraient permettre d’associer plus régulièrement les individus aux décisions politiques.

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Le citoyen est le grand absent des formes politiques contemporaines. Il est abondamment cité mais aussi absolument oublié. Car la forme capitaliste de l’économie n’a pas besoin de citoyen, mais de travailleur-consommateur. Dans le contexte et à l’époque où elle s’invente, à partir du 18e siècle, l’économie de marché produit des effets « démocratiques » en ce qu’elle libère les individus des ordres hiérarchiques, pose l’égalité des individus comme principe général d’action sociale et favorise la diversité des initiatives individuelles. Le libéralisme économique, en mettant l’individu-en-train-de-se-faire au centre de sa dynamique, a contribué à révolutionner les sociétés, mais il s’est développé en réduisant progressivement l’individu à sa seule dimension économique, le « laisser-faire », oubliant ou négligeant ses dimensions sociale, culturelle et politique.

La forme représentative de la démocratie n’a pas davantage besoin de citoyen ; elle a besoin d’électeur. L’abbé Sieyès, célèbre révolutionnaire, le dit clairement dans son discours du 7 septembre 1789 où il oppose de manière radicale gouvernement représentatif et démocratie : « Les citoyens, déclare-t-il, qui se nomment des représentants renoncent et doivent renoncer à faire eux-mêmes la loi ; ils n’ont pas de volontés particulières à imposer. S’ils dictaient des volontés, la France ne serait plus cet État représentatif ; ce serait un État démocratique. Le peuple, je le répète, dans un pays qui n’est pas une démocratie (et la France ne saurait l’être), le peuple ne peut parler, ne peut agir que par ses représentants 1. » Le passage du suffrage censitaire au suffrage universel, le développement des partis politiques, l’essor du Parlement et, plus récemment en France, l’élection populaire du Chef de l’État ne changent pas fondamentalement la réalité des choses, même s’ils en modifient l’apparence. Toutes les institutions, tous les instruments ou mécanismes présentés comme les vecteurs d’une participation directe des citoyens à la prise des décisions politiques perfectionnent aussi la délégation de pouvoirs. Le suffrage universel légitime la représentation autant ou plus qu’il donne au peuple la maîtrise des décisions ; les partis politiques organisent et reproduisent la représentation autant ou plus qu’ils donnent à leurs adhérents ou aux citoyens les moyens d’intervenir dans les choix politiques… Le peuple est peut-être davantage nommé, davantage sollicité, mais il reste toujours aux portes de l’espace de délibération. Les constitutions valorisent sans doute la figure du citoyen et énoncent toutes le principe du « gouvernement du peuple par le peuple et pour le peuple », mais elles consacrent l’essentiel de leurs dispositions à déposséder le peuple de son pouvoir en organisant et légitimant l’existence et la parole des représentants et par conséquent l’absence et le silence des représentés. « Au nom de… » reste la règle grammaticale fondamentale de la forme représentative du gouvernement des sociétés politiques.