Rire face au pire

Peut-on rire devant la souffrance, la maladie, les déchirures individuelles et collectives ? Pour certains, oui, et plus que jamais ! Mais sans obligation…

Les blagues, les caricatures et les vidéos comiques ont rarement autant circulé que depuis le début de la crise sanitaire, alors que l’annonce quotidienne du nombre de victimes a de quoi plomber l’atmosphère et que se profile un effondrement économique à faire froid dans le dos. Même pas drôle. Et pourtant… Les humoristes y vont bon train sur toute la planète, au point que le très sérieux Courrier international a publié une enquête « Coronavirus : rien de tel que l’humour pour supporter le confinement », dès le 19 mars dernier, pour relayer quelques farces impayables témoignant d’une extraordinaire créativité. Des experts y soulignaient le besoin tellement humain de rire en situation d’urgence. Un besoin vital !

Un exutoire

Point d’insouciance ou de mépris à l’égard des tragédies individuelles et collectives qui se déroulent. Ceux qui rient des blagues et les font circuler ont parfois contracté le Covid-19 un jour et applaudissent les soignants au front… qui ne sont pas les derniers à user du rire pour survivre à l’anxiété, en bons héritiers de la tradition carabine. « Parce que ça fait du bien, ça permet de supporter la surdose de stress, le contrecoup des shots d’adrénaline, et de continuer tout simplement à bien soigner », reconnaît Sonia Camay, après avoir exercé pendant 12 ans au service des urgences. « L’ironie, l’humour, c’est dans mon ADN, et le rire a toujours fait partie de ma trousse de médecin pour approcher les patients, dédramatiser ou faciliter un soin, ajoute-t-elle. Il est particulièrement présent aux urgences, alors que nous gérons, par définition, des cas difficiles, parfois dramatiques. Entre soignants, on se fait aussi des blagues très souvent. » Et l’on se raconte les perles que Sonia Camay a soigneusement consignées dans son recueil Patients casse-couilles, fous rires aux urgences (L’Opportun, 2019). On ne résiste pas à l’histoire du monsieur qui prend la pilule de sa femme, à celle de la dame qui demande un certificat médical aux urgences afin de prouver à son mari qu’elle n’a pas couché avec son chef… Ils ont osé ! Et mieux vaut en rire, tant qu’on peut en restant respectueux. Mais l’urgentiste a fini par s’inquiéter de rire à tort et à travers, nerveusement, et sans faire baisser la pression pour autant. C’était un signal d’alerte, prouvant qu’elle n’encaissait plus les chocs émotionnels : elle s’est reconvertie en gériatrie. « Je ris toujours avec mes patients âgés. Mais depuis la crise du coronavirus, je n’ai pas trouvé le moyen. Dans l’Ehpad où j’interviens, ils ont compris qu’on ne les sauverait pas s’ils étaient contaminés. » Trop de détresse…