Voici un ouvrage aussi lucide que dérangeant. Oui, parmi les frères et sœurs d’une même famille, certains enfants sont préférés de leurs parents et d’autres moins aimés. Voilà une vérité qu’abordent de front les deux auteures. L’existence de ces « enfants chéris » est connue de tout temps. Il suffit d’ouvrir la Bible pour en trouver de nombreux témoignages. Dans le livre de Jacob par exemple, il est écrit que « Rebecca préférait son fils Jacob », alors que le père « préférait Esaü ». Quand Jacob sera devenu père à son tour, la Genèse rapporte que « Jacob aimait Joseph plus que tous ses autres fils ». Les contes pour enfants sont truffés d’enfants préférés et d’autres rejetés, et il suffit d’ouvrir Perrault, Andersen ou les frères Grimm pour trouver des exemples. La littérature classique ou contemporaine offre également de nombreux récits d’enfants choyés et d’autres brimés au sein d’une même famille. Faut-il encore rappeler que dans la plupart des sociétés traditionnelles, la naissance d’un fils compte plus que celle d’une fille ? Si dans les sociétés occidentales, la préférence d’un enfant est devenue moralement inadmissible et honteuse, les auteures ont osé briser ce tabou et l’affirmer : les préférences parentales existent. Elles prennent cependant aujourd’hui des formes plus subtiles que le rejet ou le favoritisme explicite et affiché. Mais la préférence, même non dite, n’en reste pas moins ressentie et cruelle : comme pour ce garçon « tant désiré » après la naissance de deux filles, ou pour ces parents qui affichent ostensiblement la réussite scolaire de leur petit dernier et détournent la conversation quand il s’agit de parler de l’aîné. Parfois la préférence paraît légitime, comme pour cette mère qui couve et protège son enfant handicapé, et ce, sans se rendre compte qu’elle finit par délaisser les autres.
Marc Olano