Marseille, juillet 2054. L’air est moite. Trois personnes risquent leur vie pour fuir l’enfer qu’est devenue la France. Depuis que la guerre civile a commencé, la cité phocéenne est devenue capitale à la place de Paris. Elle est l’enjeu d’un combat entre le très corrompu gouvernement officiel et les milices fascistes qui tiennent une bonne partie du Sud de l’Hexagone. Les destins entrecroisés de Sohan, Layla et Stella vont basculer cette nuit, alors que chacun et chacune s’efforce de décrocher le Graal : rejoindre les passeurs qui l’enverront au Maroc. Car, ironie de l’histoire, le royaume chérifien a su se construire une nouvelle prospérité. Depuis que ses scientifiques ont trouvé un moyen de stocker l’électricité, il fournit de l’énergie décarbonée au monde entier, à grand renfort de fermes solaires et d’éoliennes offshore.
Telle est l’intrigue du roman Trois cœurs battant la nuit d’Aurélien Manya. Les Marseillais reconnaîtront avec amusement chaque détail de l’errance des trois protagonistes, ce qui pourrait presque faire oublier la veulerie des seconds rôles. Ceux qui vivent sous occupation fasciste se transforment vite en collaborateurs, prompts à dénoncer Stella pour sa transsexualité ou Sohan pour son teint basané. Il y a quelques violeurs, à l’affût de la détresse des passantes. Et de la violence, lorsque plus personne ne mange à sa faim. Une poignée de résistants s’opposent à la fois aux fascistes et au gouvernement, mais ils se montrent sans pitié – leur survie est à ce prix. Toute humanité semble s’être évaporée avec la richesse de notre société, cuite par le réchauffement climatique.
Les algorithmes de la vengeance
La société française vue par la science-fiction n’incite guère à l’optimisme. Quand ce ne sont pas les thématiques des migrants sacrifiés et du changement climatique qui sont abordées comme dans cette traversée désespérée de la France vers le Maroc, ce sont l’intelligence artificielle, la société de surveillance, la guerre qui pourrissent l’avenir.
Prenons Victor Laplace, le héros du roman Le Dernier Étage du monde de Bruno Markov. Il était au collège quand son père, cadre à l’ancienne chez France Telecom, s’est suicidé alors que sa boîte, rebaptisée du nom d’un agrume, était compressée-rationalisée par une meute de consultants. Dans le cœur du gamin, l’amour du travail bien fait, inculqué par le paternel, a cédé la place à la haine et à l’ambition. Tout à son obsession de retrouver le boss des consultants, de se hisser à son niveau afin de le berner et de le détruire, Victor s’est avalé des algorithmes au point de devenir un monstre de rationalité. La maîtrise des rouages de l’IA devient dans ce thriller prétexte à gravir les étages des firmes transnationales de conseil et de télécommunication, jusqu’aux immeubles aseptisés de la Silicon Valley. C’est là où se décide l’avenir du monde, là où une poignée d’initiés manipule plus d’argent et de pouvoir que l’immense majorité des chefs d’État. Et Victor le surdoué d’entamer une partie d’échecs vertigineuse, dans laquelle sa conscience se déchire, lambeau par lambeau. Extrait :