« Réformer l’islam »
Les Cahiers de l’Orient - N° 125, 2017, 174 p., 18 €.
Réhabiliter l’esprit critique dans le domaine religieux : tel semble être le fil rouge de ce numéro, consacré aux lectures modernistes de l’islam. Deux textes dédiés à Gammal Al Banna – frère du fondateur des Frères musulmans, une confrérie conservatrice souvent accusée de terrorisme – exposent sa pensée innovante méconnue. Ce théologien égyptien incite à penser l’islam comme un organe vivant qui doit évoluer avec le temps et accepter la raison, ce « don de Dieu » qui n’entrave pas la parole divine. Il propose la création d’un conseil consultatif chargé d’adapter la jurisprudence islamique (le « fiqh ») à la modernité, qui resterait distinct du politique. C’est une façon de se concentrer sur le « fonctionnement » spirituel de l’islam et son essence, plus que le texte rigide tel qu’il a été fixé à travers le temps.
Le philosophe Ghalbeb Bencheikh partage cette lecture. Selon lui, à force de sanctifier les « exigences hautement drastiques de l’islamologie savante », le fondamentalisme religieux s’éloigne paradoxalement de l’islam, qui porte en réalité une pensée humaniste. Il voit « la reproduction mimétique des rites » et l’attachement viscéral au texte comme une « naïveté » qui dénature la religion. En somme, l’érudition des supposés spécialistes nuit à l’authenticité de la foi, qui doit d’abord être vécue. Anne de Luca, docteure en droit musulman, montre pour sa part que si la religion musulmane est fondée sur une tradition guerrière, elle n’a rien à voir avec les mouvements jihadistes d’aujourd’hui. Elle précise que la notion de jihâd, dont se revendique Daesh, a été utilisée par les juristes classiques du 11e siècle comme un prétexte pour combattre l’effritement de leur religion dans le monde. Cette construction politique ancienne a modifié le sens du concept : il n’était à l’origine qu’une théorie juridique encadrée par des normes précises. En misant sur la vulgarisation de ces notions, le numéro offre des clefs de compréhension de la foi islamique, une ouverture pertinente en réponse aux questionnements sur l’islamophobie et l’extrémisme en France.