S’il fallait trouver un équivalent cinématographique à Ma vie chez les Ovahimba, ce serait un « making of », le récit des péripéties plus ou moins épiques d’un tournage. La comparaison tient d’autant mieux que l’auteure est cinéaste. De cette espèce trop rare de documentaristes-ethnologues qui nourrissent leurs œuvres de longs séjours auprès des peuples qu’ils entendent filmer. Lorsque Rina Sherman est partie s’installer auprès des Ovahimba, un peuple d’éleveurs de bétail de Namibie, elle entendait suivre les pas de Jean Rouch. Elle avait été l’élève et l’assistante de l’auteur des Maîtres fous, et souhaitait désormais labourer son propre terrain d’étude. Elle n’imaginait cependant pas qu’elle vivrait sept années parmi les Ovahimba.
Sept années pendant lesquelles elle a noué des liens extrêmement étroits avec la famille du chef de la communauté d’Etanga en Namibie. « Kakendona, c’est ma sœur. Elle dit que nos esprits se sont échangés. Elle est de la lignée Tjambiru, la fille cadette du chef d’Etanga. Autrement dit, un enfant de la lignée de chefs depuis huit générations. Avec elle, j’ai fait les quatre cents coups. Nous avons ri, dansé, bu et parlé. » R. Sherman appelle bientôt le chef d’Etanga « (s)on père », un titre qui, loin d’être simplement honorifique, reflète une affection et un respect mutuels. « Un matin, nous avions décidé de gravir la colline d’Ottere située derrière la maison. Mon père, cet homme maigre à l’allure noble, grand buveur d’alcool, menait la marche à bonne allure. (…) Il me regarda, puis laissa son regard balayer ce panorama. Sans doute y vit-il autre chose que moi. (…) Il apercevait un pâturage lointain, une source d’eau, un oued, le droit d’accès hérité à la naissance, la route qui y conduisait, sa maison aussi. Toute la différence entre le regard de mon père sur ce paysage et le mien était là. J’en faisais un tableau, il y sondait sa vie. »