Serge Tisseron : Pourquoi la psychanalyse doit changer

Quand un psychanalyste célèbre, Serge Tisseron, raconte sa propre analyse avec un praticien reconnu, Didier Anzieu, cela donne Fragments d’une psychanalyse empathique (Albin Michel, 2013). Au-delà du témoignage, ce récit permet une réflexion sur la psychanalyse d’aujourd’hui, les attaques dont elle fait l’objet, et la nécessité de son renouvellement.

 

Pendant une dizaine d’années, de 1985 à 1995, vous avez vécu l’expérience d’une analyse « différente » avec Didier Anzieu. Vous avez choisi de raconter celle-ci dans votre dernier livre (1). Pourquoi aujourd’hui ?

Parce que j’entends et vois circuler toutes sortes d’idées fausses, y compris de la part des psychanalystes, sur ce que devrait être une « vraie » analyse. Ainsi, on a largement minoré le fait qu’une analyse, c’est d’abord et avant tout une relation humaine, même si c'est une relation d'un type particulier. Ferenczi, Winnicott, Balint, entre autres disciples de Freud, étaient des pionniers sur cette question de l’importance de l’empathie entre un analyste et son patient. Mais leur pensée s’est peu diffusée en France, où la psychiatrie s’est toujours focalisée sur les troubles mentaux individualisés alors qu’aux Etats-Unis et dans les pays anglo-saxons, elle est d’abord une psychiatrie intéressée par la relation sociale. Il n'est d'ailleurs  pas étonnant que tout le mouvement du Care - qu'on peut traduire grossièrement par « prendre soin » -  vienne justement de ce côté du monde. Les analystes anglais peuvent vous recevoir autour d’une tasse de thé, avec un plaid à disposition sur le divan… Didier Anzieu était très sensible à ces courants de pensée. On est alors bien loin de l’image tragique d’un psychanalyste froid, véritable figure surmoïque, que les disciples français de Freud ont  popularisé, en mettant notamment dans leur cabinet la photographie où on le voit, le visage fermé et la bouche tordue par son cancer de la mâchoire qui le faisait horriblement souffrir à la fin de sa vie.