Silicon Valley: les secrets d'une réussite

A la différence des sociétés d'informatique de la Route 128 près de Boston, celles de la Silicon Valley entretiennent des relations de coopération et de concurrence étroites entre elles et les institutions locales. Pour Anna Lee Saxenian, cette organisation en réseau, ouverte sur l'environnement extérieur, est la clé de la réussite de la mythique Silicon Valley.

Ceux qui étudient le développement régional considèrent en général la Silicon Valley et la Route 128 (dans le Massachusetts, près de Boston) comme des exemples classiques de dynamisme. Une dynamique qui s'est constituée grâce à l'accumulation de compétences technologiques, de capital-risques, de l'agglomération de fournisseurs et de services spécialisés, de la présence d'infrastructures et enfin de l'essaimage des savoirs, rendu possible par la présence d'universités et de flux d'informations informels.

Cependant, cette approche ne peut rendre compte des performances divergentes que les deux économies régionales ont connues à partir des années 90. Toutes deux puisent leurs racines dans les dépenses militaires d'après-guerre et dans la recherche universitaire, mais au-delà de ces origines communes, la Silicon Valley et la Route 128 ont répondu différemment à l'intensification de la compétition internationale. Si les deux régions ont connu un déclin dans les années 80, la croissance rapide d'une nouvelle vague d'entreprises, ainsi que le dynamisme retrouvé d'entreprises établies de longue date, comme Intel et Hewlett-Packard, furent la preuve que Silicon Valley avait retrouvé sa vitalité passée. Le long de la Route 128, à l'inverse, les nouvelles entreprises ne sont pas parvenues à compenser les licenciements continus chez Digital Equipment Corporation et dans d'autres firmes de micro-ordinateurs. A la fin des années 80, les producteurs de la Route 128 cédaient leur dominance de longue date sur la production d'ordinateurs à la Silicon Valley.

Des données régionales illustrent les différences de leur sort. Ainsi, entre 1975 et 1990, les firmes de la Silicon Valley créaient environ 150 000 emplois dans les technologies nouvelles (soit le triple du nombre d'emplois créés le long de la Route 128), alors qu'en 1975 les deux régions offraient un nombre comparable d'emplois (voir le graphique «Evolution du nombre d'emplois » en p. 47).

En 1990, les producteurs implantés dans la Silicon Valley exportaient plus de onze milliards de dollars de produits électroniques, soit presque un tiers du total national, alors que la Route 128, elle, n'exportait l'équivalent que de 4,6 milliards de dollars (source : Electronic Business, 1992). Enfin, la Silicon Valley rassemblait 39 des 100 compagnies nationales les plus performantes, au taux de croissance le plus rapide, alors que la Route 128 ne pouvait que se targuer d'en compter quatre. En 1990, la Californie du Sud et le Texas devançaient la Route 128, attirant davantage de firmes électroniques en pleine expansion.

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Les classements que l'on observe sur le second schéma (voir «Evolution du nombre d'entreprises» en p. 47) reposent sur des taux de croissance de ventes sur cinq ans, mais la liste ne se limite pas aux petites entreprises. Elle comprend aussi des compagnies dont les profits atteignent les multimilliards de dollars, comme Sun Microsystems, Apple Computers, Intel Semiconductor, et Hewlett-Packard, toutes classées parmi les entreprises les plus performantes des années 90.

Loin d'être insensibles à leur environnement, les firmes sont ancrées dans des réseaux de relations sociales et institutionnelles qui conditionnent, et sont conditionnés par leurs stratégies et leurs structures 1. La perspective des réseaux permet de mettre en lumière les relations historiques qui existent entre l'organisation interne des firmes et leurs rapports réciproques, ainsi que ce qui les relie aux structures sociales et aux institutions propres à leurs localités.

Une approche basée sur les réseaux permet de plus de rendre compte, en dépit de leur origine et de leur technologie semblables, du développement de systèmes industriels distincts, mis en place après la guerre, entre la Silicon Valley et la Route 128. Les économistes ont en effet négligé les différences dans l'organisation productive des deux régions, ou alors les ont traitées de manière superficielle, opposant une Californie « relax » à une côte ouest plus « conformiste ». Loin d'être superficielles, ces variations démontrent cependant l'importance, dans l'adaptation industrielle, des déterminants sociaux et institutionnels locaux.

La Silicon Valley repose sur un système industriel régional en réseau, qui valorise l'apprentissage et l'ajustement mutuel entre producteurs spécialisés dans un ensemble de technologies connexes. La densité des rapports sociaux et le caractère ouvert du marché du travail de la région encouragent l'esprit d'entreprise et d'expérimentation. Les firmes se font une concurrence intense tout en apprenant les unes des autres sur les technologies et les marchés changeants, grâce à des systèmes de communication informels et à des pratiques collaboratrices. La structure relativement libre des équipes encourage une communication horizontale entre les divisions à l'intérieur des firmes ainsi qu'avec les fournisseurs externes et les clients. Dans un système en réseaux, les fonctions intrafirmes apparaissent donc définies de manière vague, et les frontières entre firmes et institutions locales (comme les associations de commerce et les universités) sont poreuses.