Sommes-nous tous un peu psychotiques ?

Entendre des voix, avoir un délire de grandeur, se croire manipulé par des forces mystérieuses… Tout cela n’est pas l’apanage des psychotiques : chacun peut y être, occasionnellement, sujet. Pourquoi ? Et quelle est la frontière avec la maladie mentale ?

Il est 7 h 30 et Alice monte dans le train pour se rendre sur son lieu de travail. Elle s’assoit et commence à regarder défiler les paysages par la fenêtre. Elle relâche son attention et, au même moment, elle l’entend peu à peu : cette petite voix qui ressemble à la sienne. La voix commence par anticiper la journée à venir, puis s’embarque vers d’autres préoccupations. Pour y couper court, Alice attrape un journal posé sur le siège à côté d’elle et se met à le lire. Loin de faire taire la voix off, voilà que celle-ci se met à lire à voix haute, s’autorisant parfois un commentaire sur l’actualité entre deux paragraphes. Est-ce qu’Alice souffre d’hallucinations auditives ? Absolument pas. Elle fait quotidiennement l’expérience de cette partie de nous qui nous rend tous un peu psychotiques. Aussi, l’idée que ces symptômes sont présents dans la population générale et se distribuent plutôt sur un continuum allant du normal au pathologique est de plus en plus reconnue.

Il y a délire et délire

Les hallucinations et les idées délirantes sont au centre du diagnostic des psychoses. C’est peut-être parce qu’ils sont si bien reconnus que l’hallucination et le délire sont tombés dans le langage commun. Si « j’hallucine » d’entendre une histoire « complètement délirante », est-ce que je traverse un épisode psychotique ? C’est un peu plus précis que ça.

Stricto sensu, les hallucinations sont définies comme des expériences sensorielles conscientes (auditives, visuelles, tactiles ou olfactives) qui ont lieu sans aucune stimulation externe. Les plus connues sont bien sûr les hallucinations auditivo-verbales, autrement dit le fait « d’entendre des voix ». Les idées délirantes sont, quant à elles, définies comme des croyances soutenues avec une forte conviction en dépit des preuves contraires, et qui ne sont pas partagées par les personnes appartenant à la même culture. Il faut donc que l’idée soit tenace, « bizarre » culturellement parlant, et que la personne ne puisse reconnaître les preuves qui la contredisent. De ce côté, les séries et les films mettent souvent l’accent sur le délire paranoïaque/de persécution, dans lequel la croyance est celle d’un monde plus menaçant que ce qu’il n’est réellement… ou pas.

Dans les troubles psychotiques, ces symptômes prennent bien sûr une place toute particulière et s’articulent avec d’autres difficultés sur le plan psychique, ce qui empêche la personne de vivre « normalement ». Qu’en est-il alors de cette voix off chez nous, sains de corps et d’esprit, dans notre « vie normale » ? Ou des personnes qui peuvent faire l’expérience de délires ou d’hallucinations sans jamais se retrouver dans le bureau d’un psychiatre ?

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Qui sont alors ces personnes « psychotiques sans vraiment l’être » ? Qu’est-ce qui les différencie ? Au niveau des dispositions cognitives, le développement et le maintien de ces expériences seraient liés à la métacognition, c’est-à-dire au fait « de penser à propos de la pensée » (thinking about thinking). Ce qui est important, ce n’est alors pas tant ce que la personne pense, mais comment elle réagit et analyse ses propres pensées. Cette analyse et cette réaction sont bien sûr différentes chez chacun. Mais certains schémas sont considérés comme dysfonctionnels et nous rendraient plus vulnérables sur le plan psychologique. Par exemple, ressasser les mêmes idées négatives ou essayer de supprimer une pensée.