Sophie Robert : "On m'attaque parce que je suis porteuse de mauvaises nouvelles"

En 2011, son film Le Mur : la Psychanalyse à l’épreuve de l’autisme déclenchait une polémique explosive, ainsi qu’un procès intenté par trois psychanalystes s’estimant trahis, et gagné en appel par la réalisatrice début 2014. Sophie Robert revient sur les quatre années écoulées, et ses projets.

 Avec du recul, si le Mur était à refaire, procéderiez-vous différemment ?

Sur le fond, non. Sur la forme, j’ai vraiment découvert l’autisme durant cette période, et j’en ai développé une connaissance intime qui me ferait modifier mon vocabulaire. Aujourd’hui je parlerais par exemple de personnes avec autisme plutôt que d’autistes, je ferais plus attention avec la notion de maladie mentale. Et puis je ferais un film plus long. Le premier montage faisait deux heures, et le deuxième, 80 mn. Au final le Mur a été réduit à 52 mn pour avoir une chance de passer à la télévision, ce qui m’a été refusé. Si j’avais su, je l’aurais laissé tel quel et diffusé au cinéma.

À l’origine Le Mur devait s’inscrire dans une série de documentaires. Que deviennent les autres films ?

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Mon travail a été considérablement ralenti par le procès, mais trois longs-métrages sont toujours en cours. Le prochain, Le Phallus et le pas tout, qui va parler de la théorie sexuelle des psychanalystes, est le plus avancé. Il me manque des financements pour le terminer. La psychanalyse exerce une telle influence dans les milieux audiovisuels, et le procès a eu un tel impact que même après ma réhabilitation, c’est très difficile. C’est pourquoi je lance une souscription : je propose aux personnes intéressées de contribuer financièrement à ce long métrage. En échange, ils pourront toucher un pourcentage sur les bénéfices d’exploitation du film qui sortira en salles de cinéma. Je veux faire un beau film.

Qui nous garantit que dans vos futurs films vous n’allez pas systématiquement montrer les pires passages des pires analystes ?

Avec Le Mur, je pensais réaliser un documentaire plus nuancé, avec une confrontation entre les anciens et les modernes. Au début, je pensais être tombée par hasard sur une bande d’extrémistes. C’est pour ça que j’ai voulu en rencontrer beaucoup d’autres : personne, pour un documentaire, ne prend la peine de réaliser 52 interviews ! Je voulais me faire une idée approfondie des différences d’argumentation entre freudiens, lacaniens, kleiniens, des jeunes, des vieux, des femmes, des hommes, ceux qui avaient une pratique privée ou non… Je voulais savoir quelle était leur conviction intime, quel était leur moteur. Or le phallus dans l’inconscient, la femme et l’envie du pénis, les couples homosexuels qui feront des psychotiques en trois générations, la forclusion du Nom-du-Père, tout ça, ils ne le remettent pas en cause. Même si ce n’est pas dominant dans leur pratique, ça fait partie d’un bagage qu’ils refusent tous de remettre en question. Le reste c’est de la mousse, c’est de la com ! Les extrémistes sont donc dominants en nombre et en postes de pouvoir. Quant aux dissidents, je n’en ai trouvé aucun pour s’exprimer devant la caméra. J’ai travaillé pendant quatre ans, puis quatre ans ont passé depuis Le Mur, beaucoup m’ont dit en privé que j’avais raison, mais je n’en ai observé aucun qui tienne publiquement un discours vraiment critique. Car critiquer la psychanalyse signifierait pour eux ne plus avoir accès aux maisons d’édition, et ne plus se faire envoyer de patients par la chapelle dont ils sont issus. Certains, hors caméra, m’ont parlé d’un système d’excommunication. De toute façon, les psychanalystes qui se disent progressistes n’arrivent pas à s’affranchir des concepts clés. Je n’en connais aucun qui soit capable de dire publiquement que la forclusion du Nom-du-Père est une absurdité. Je sais que c’est désagréable à entendre, mais c’est la réalité. Et vous allez voir, Le Mur n’est qu’un amuse-gueule comparé au Phallus et le pas tout ! C’est pour ça que mon travail fait peur.