Stanislas Dehaene : La conscience en laboratoire

Comprendre la nature et les mécanismes de la conscience est devenu l'un des objectifs des neurosciences. Mais comment la définissent-elles ? Comment l'étudient-elles expérimentalement ? Les réponses de Stanislas Dehaene, directeur de l'Unité de neuroimagerie cognitive ISERM-CEA, titulaire de la chaire de Psychologie cognitive expérimentale au Collège de France, et auteur, entre autres, des Neurones de la lecture (Odile Jacob, 2007) et de la Bosse des maths (Odile Jacob, 2e éd, 2010).

En évoquant le terme de conscience, de quoi parle-t-on ?

Il recouvre plusieurs significations. Tout le monde partage des intuitions sur la conscience, par exemple qu’elle disparaît quand on s’endort, quand on est anesthésié. Ou que l’on peut ne pas avoir conscience d’une information : si on perçoit un mot rapidement, qu’on n’a pas le temps de le voir, on n’en prend pas conscience. Un accord interindividuel est ainsi possible autour du concept de conscience, et c’est très important. En effet, certains philosophes ont dit qu’on ne pourrait jamais interroger la conscience parce qu’il s’agissait d’un concept privé. Ce concept de conscience est privé et subjectif, c’est vrai. Néanmoins, dans la mesure où l’on peut trouver des situations pour lesquelles tout le monde s’accorde, on peut mettre en place des procédés d’expérimentation.
La conscience renvoie en premier lieu à la notion de vigilance : celui qu’on utilise pour dire que le patient a ou non perdu conscience. Mais conscience de quoi, on ne le dit pas, le mot étant intransitif. En ce sens, la conscience varie continuellement, depuis le coma le plus profond jusqu’à la veille, l’état de vigilance maximale.
Le deuxième sens du mot conscience désigne la conscience d’accès, avec un aspect transitif, c’est-à-dire quand on a conscience d’une information, d’un objet particulier : il faut alors préciser le contenu de ce dont on a conscience. A un instant donné, je suis éveillé, donc vigilant, mais je n’ai pas conscience de tous les éléments qui m’entourent. Pour avoir conscience d’un objet, il faut que j’en prenne conscience. Très souvent, l’attention précède la conscience : je prête attention à la chaise qui est en face de moi, cela me permet d’en prendre conscience. La différence entre écouter de la musique et l’entendre illustre la distinction entre percevoir et apercevoir. On peut avoir un traitement perceptif sans en être conscient : c’est le cas quand on entend la musique en étant concentré sur autre chose. Quelqu’un pourrait couper le son sans qu’on s’en aperçoive. Mais si on oriente son attention vers la musique, on finit par « l’apercevoir », par l’écouter. On a alors un accès conscient à l’information. Ceci permet d’introduire une division entre le conscient et le non-conscient. A un instant donné, très peu d’informations sont accessibles consciemment, tandis qu’énormément d’informations sont traitées de façon non-consciente.
Il est important de distinguer deux autres états : le subliminal et le pré-conscient. Tous deux font partie du non-conscient, un domaine immense. Les informations préconscientes sont des informations qui auraient pu être conscientes si j’avais orienté mon attention sur elles. C’est le cas de la musique audible : elle est diffusée à un volume suffisant pour être entendue, mais elle ne l’est pas forcément. Une information subliminale, en revanche, par sa nature même, ne peut pas être consciente, parce qu’elle est interrompue, trop brève, incomplète. C’est le cas des images subliminales qui sont flashées trop vite pour que le sujet puisse en prendre conscience. Le subliminal est donc en dessous du seuil de conscience. Ainsi, le sujet a besoin d’un minimum de temps pour percevoir de manière consciente une information. Il faut par conséquent dissocier les concepts d’attention et de conscience. Même si le sujet est informé qu’une image va être flashée et qu’il focalise toute son attention sur elle, il n’en a pas conscience si elle n’est pas affichée un minimum de temps pour être perceptible.