La question de la décision est-elle aussi vieille que celle de la démocratie ?
Au moins autant ! Historiquement, la réflexion philosophique sur la décision, dans la tradition occidentale, est contemporaine des formes grecques de la démocratie. Vivre dans une culture démocratique a probablement aidé. Les questions « comment bien choisir ? » ou « comment délibérer ? » ont pu émerger à ce moment-là. Mais, si on regarde les théories actuelles de l’action ou de la décision, dans les recherches en économie, en psychologie ou encore en philosophie, elles se situent à un niveau d’abstraction et de généralité qui dépasse la seule décision politique.
De quoi parle-t-on alors, dans la « philosophie de l’action » par exemple ?
Cette approche s’intéresse à ce qu’il y a de commun à toutes les décisions. Elle se demande quels sont les fondamentaux de nos choix et délibérations, ainsi que ce qui doit les guider en général – les informations dont on dispose, les objectifs ciblés, les moyens disponibles, etc. Il existe cependant des domaines spécialisés, s’intéressant à certains types de décision en particulier. L’éthique, notamment, est liée à une myriade de décisions individuelles et quotidiennes, comme aider ou non quelqu’un, se soucier de ses proches… Les décisions à grande charge morale, qui touchent à la vie ou à la mort en particulier, constituent son terrain naturel.
Les décisions collectives, elles, sont étudiées par deux branches très proches : l’éthique sociale qui s’intéresse à la manière dont on s’organise collectivement, en particulier pour se répartir les avantages, les inconvénients ou les sacrifices nécessaires à la vie en collectivité ; et la philosophie politique qui étudie les décisions politiques et leurs institutions.
La philosophie de l’action a connu une grande vitalité depuis la Deuxième Guerre mondiale. Mais son histoire débute plus tôt. On en trouve des expressions, déjà très inventives dans la philosophie grecque, en particulier chez Aristote. Puis, pendant longtemps, elle a été éclipsée par les grandes questions de la philosophie morale, avec l’idée que les actions les plus ordinaires et les plus insignifiantes ne méritaient pas qu’on s’y arrête, contrairement aux actions à forte charge morale. C’est au 20e siècle que l’analyse générale de la décision a été revitalisée, sous l’impulsion notamment du philosophe américain Donald Davidson 1.
Mais cette philosophie de l’action ne se place pas seulement à un niveau individuel…
Elle s’y est beaucoup consacrée, parce qu’il est sans doute plus simple de commencer par ce volet. Dans un second temps seulement, elle s’est déplacée vers la question des actions collectives, en se demandant si ces idées pouvaient être transposées à une échelle de groupe. Ce déplacement soulève beaucoup de questions… Est-ce qu’on peut considérer qu’une collectivité peut avoir une intention, comme un individu ? Si oui, est-ce que cela est équivalent au fait que tous les membres de la collectivité aient en commun une certaine intention individuelle ? Sans doute pas… Prenons l’affirmation « Les électeurs ont voulu changer de président », il est possible qu’une part importante de ces électeurs n’aient pas eu ce souhait. Des questions analogues se posent concernant la manière dont une collectivité se représente le monde dans lequel elle évolue. Le passage de l’individuel au collectif soulève la question de savoir quelle entité est susceptible de prendre une décision 2.