Le sort que fait chaque société à ses travailleurs les moins favorisés est un facteur important du jugement que l’on peut porter sur sa performance économique et sociale. Les mutations économiques des vingt-cinq dernières années (globalisation croissante, déréglementation de nombreux secteurs, diffusion de nouvelles techniques de production et de formes d’organisation du travail…) ont notamment modifié en profondeur la gestion par les entreprises de leurs ressources humaines. Quelles ont été les conséquences de ces transformations pour les travailleurs peu qualifiés et peu rémunérés ? Leur situation présente-t-elle des différences notables entre pays dont le niveau de développement est comparable ?
Nous avons dirigé le volet français d’une enquête comparative portant sur la qualité de l’emploi, c’est-à-dire bien entendu sa rémunération, mais aussi sur l’ensemble des conditions de travail et d’emploi : type de contrat (permanent ou temporaire), opportunités de formation et de progression de carrière, temporalité (temps plein ou partiel, horaires décalés, de nuit), intensité et pénibilité du travail… De ce point de vue, la situation française est contrastée.
Une part de bas salaires relativement faible
Le pourcentage de travailleurs à bas salaires* est en effet relativement faible en France : il s’élevait en 2005 (1) à environ 10 % des salariés contre 18 % à 25 % aux Pays-Bas, au Royaume-Uni, en Allemagne et aux États-Unis, seul le Danemark faisant mieux avec moins de 9 % (tableau 1 ci-dessous). En revanche, sans surprise, les personnes les plus touchées sont les mêmes dans tous les pays : les femmes, les jeunes, les moins diplômés, les immigrés.
La cause directe de cette bonne performance française en matière de bas salaires est assez facile à identifier : il s’agit du smic. Parmi les pays de la comparaison, l’Allemagne et le Danemark sont les seuls à ne pas avoir de salaire minimum légal national. Mais au Danemark, les partenaires sociaux ont négocié au niveau national un « tarif » minimum qui s’impose à pratiquement tous les secteurs. En Allemagne, en revanche, la régulation des salaires se fait au niveau de la branche, mais les accords de branche n’ont pas force de loi. Dans certains secteurs, comme par exemple l’agroalimentaire, des entreprises ont pu se livrer à de véritables politiques de dumping social, en recourant notamment à des travailleurs intérimaires ou à des travailleurs « détachés », originaires des pays d’Europe de l’Est, parfois payés moins de 5 dollars de l’heure.