C’est d’abord Freud qui, dans La Technique psychanalytique, insiste sur la nécessité du paiement d’une analyse : « L’absence de l’influence correctrice du paiement a de graves désavantages ; l’ensemble des relations échappe au monde réel ». L’analyste n’est ni Saint-François d’Assise faisant la charité ni Saint-Louis tout puissant guérissant les écrouelles. C’est une personne qui doit gagner sa vie. Le patient, venu parce qu’il souffre de quelque chose qui se répète dans sa vie, doit trouver, par le paiement des séances, des ressources psychiques pour comprendre qu’il n’est pas la victime impuissante de cette répétition. Lacan insistera sur ce point : l’argent est donc un signifiant dans la cure. Il vient signifier au patient, par le paiement, séance après séance, que ce n’est pas parce que ses parents lui ont donné la vie qu’il doit être, à vie, justement en dette. Dans sa subtile Petite Psychanalyse de l’argent, le psychanalyste Patrick Avrane précise : « La circulation de l’argent ne relève pas uniquement de l’économie. La manière dont nous usons de la monnaie est, au même titre que la parole, propre à chacun. Il y a des mutiques et des avares, des prodigues et des bavards, etc. Ce que nous faisons de l’argent, comme ce qu’il fait de nous, rend compte du désir qui nous anime. »
Le juste prix
Dorothée se souvient encore avec amusement de l’effet de ce que lui lança, il y a des années, son ancien analyste. Le bon Docteur n’oubliait jamais, comme le faisait, avant lui, Lacan, de raccompagner sa patiente au seuil de la porte en soufflant un doucereux : « À la semaine prochaine, chère ! » Un jour qu’elle avait encore fait tomber quelques piécettes par mégarde, échappées des poches de son jean, Dorothée entendit son « cher » analyste lui dire : « Tout ce qui tombe sur le divan est à moi ! » Sur le moment, elle fut édifiée par tant de muflerie. Ce n’est que des mois plus tard qu’elle pensa comprendre le sens de ses propos. Son analyste lui aurait indiqué par là que, pour avancer dans l’existence, Dorothée aurait à se « contenir », et se fabriquer un « moi » plus solide, qui ne ressemblerait plus à une « poche percée ».
Pour Patrick Avrane, de fait : « Si le psychanalyste acceptait le troc – pourquoi ne pas imaginer échanger le temps des séances contre des heures de secrétariat, de ménage ou de cuisine ? –, il omettrait la dimension de l’incertitude véhiculée par les effets bancaires. Son exercice se cantonnerait à la production d’interprétations aussi réelles que tomates ou pommes de terre. Et son analysant serait à jamais laissé dans le temps de l’enfance, celui d’avant la monnaie. Or nous vivons dans un monde économique. Sans argent, nous connaîtrions sans doute une autre forme de marché ; mais sans monnaie, il n’y aurait certainement pas de psychanalyse. »
Analyste installée depuis peu, Claire admet avoir eu le plus grand mal à trouver l’attitude juste face à ce patient qui, alors qu’elle avait fixé 80 euros par séance, lui donnait régulièrement 100 euros, sans attendre que la monnaie lui soit rendue. « Dans mon esprit, explique-t-elle, ne pas lui rendre la monnaie s’apparenta d’abord à une duperie. Je voyais ce patient comme une personne trop accaparée par ses problèmes pour s’apercevoir que je ne lui avais pas rendu la monnaie. Puis, la cure se poursuivant, j’ai compris que 100 euros étaient pour lui le juste prix des séances. En dessous de ça, il déconsidérerait le travail fait, et qu’on n’avancerait plus. » Mais, afin qu’on ne la juge pas cupide, elle s’empresse de préciser : « Pour ce Monsieur, c’est 100 euros, pour d’autres c’est 30 euros. »