Trois questions à François Rastier et Rossitza Milenkova-Kyheng. Ainsi parlait Rahan...

Christophe Gans, le réalisateur du Pacte des loups (2001), prépare actuellement l'adaptation cinématographique de la bande dessinée Rahan, dont l'action se situe durant la préhistoire. Vous avez été sollicités afin d'imaginer ce qu'auraient pu être les langues d'alors. Comment avez-vous procédé pour élaborer des langues préhistoriques ?

Ce début du xxie siècle est riche en débats sur la paléolinguistique, le protolangage des hominiens qui ont précédé les sapiens, les hypothèses néodarwiniennes sur les avantages évolutifs qui auraient accompagné voire déterminé l'émergence du langage. Bien qu'actuellement débattues, ces hypothèses, qui prolongent celles du xixe siècle, ne sont soutenues par aucune preuve probante en matière linguistique, ce que même Merritt Ruhlen soulignait récemment : « Nous ignorons tout des langues et même des capacités de langage de ces hominidés du passé. » Et nous n'en saurons probablement jamais beaucoup plus sur ce point. En outre, la situation paléontologique évolue sans cesse et, comme le dit Yves Coppens, il faut être prêt à « changer son fossile d'épaule ». Une certitude demeure dans la fiction : Rahan se situe vers -35 000, à l'époque de la culture aurignacienne du Paléolithique supérieur qui correspond à l'émergence de l'art figuratif dans ce qu'on a appelé la révolution symbolique. Les langues de cette époque étaient sans doute déjà complexes et diversifiées. Quant à la certitude scientifique, les premières traces écrites de langues ne remontent qu'à 3 300 ans av. J.-C., et l'absence totale de données antérieures affaiblit la formulation des hypothèses sur la phylogenèse du langage en général et des langues en particulier. Cependant, nous avons élaboré nos hypothèses en respectant les contraintes linguistiques : par exemple, l'analyse des racines indo-européennes témoigne de la formation tardive de certaines séries de consonnes : ainsi les consonnes comme « f » et « j » sont-elles absentes des langues que nous avons élaborées. D'autre part, les contraintes liées au film nous ont conduits à concilier la création scénique et les données linguistiques : aussi d'autres consonnes dont l'existence est plausible sont-elles également absentes pour éviter aux acteurs d'inutiles difficultés de prononciation. Genre oblige, nos « langues préhistoriques » ne relèvent pas moins d'un imaginaire fictionnel que d'une réflexion purement scientifique.