Tunisie : la révolution, et après ? Rencontre avec Khadija Mohsen-Finan

17 décembre 2010 : Mohamed Bouazizi, vendeur ambulant de 26 ans, s’immole par le feu. La révolte qui s’en suit aboutit à l’éviction de Zine El Abidine Ben Ali, dirigeant tunisien, au pouvoir depuis 23 ans. Ben Ali et sa famille sont aujourd'hui toujours en fuite en Arabie Saoudite, alors que se sont ouverts leurs procès par contumace. Ils sont impliqués dans 138 affaires judiciaires, principalement pour homicide volontaire, abus de pouvoir, et corruption. Khadija Mohsen-Finan, spécialiste du Maghreb, revient sur les enjeux de cette révolution. 

Quelle a été la spécificité de la Tunisie dans le processus de contestation politique à l’œuvre dans plusieurs pays du Maghreb et du Moyen Orient depuis début 2011 ?

Il y a certainement un particularisme tunisien dans le processus à l’œuvre dans le monde arabe même si les raisons qui ont provoqué la révolte se retrouvent dans tous les pays de la région.

La révolte a pris forme dès que le marchand ambulant s’est immolé par le feu. Elle est née du fait que l’Etat accordait sa protection exclusive aux puissants, aux proches, à la famille de Ben Ali, laissant à la marge les plus démunis qui essayaient de s’en sortir par la débrouillardise. En fait, le contrat social qui liait implicitement les citoyens et les dirigeants fonctionnait tant l’économie était performante. Mais les effets de la crise mondiale ont rendus visibles et inacceptables les travers du système (privilèges, corruption, absence de liberté d’expression).

Presque toutes les catégories qui ne bénéficiaient pas des privilèges se sont jointes au mouvement de protestation : des diplômés, des chefs d’entreprise, une grande partie de la classe moyenne. La Tunisie compte d’ailleurs davantage de diplômés chômeurs que les autres pays du Maghreb. Les jeunes qui étaient à l’origine du mouvement de protestation ont rapidement été relayés par des acteurs de la société civile, membres d’associations, de la centrale syndicale… Ces institutions étaient en place, mais avaient été vidées de leur sens par le pouvoir. Ces « cellules dormantes » se sont réveillées après une mise en sommeil très longue, bien plus ancienne que l’ère de Ben Ali. Bourguiba avait déjà domestiqué le syndicat (Union générale des travailleurs tunisiens, UGTT), avait verrouillé l’espace public et avait criminalisé toute forme d’opposition politique.