Un ami vaut-il un psy ?

« Parce que c’était lui, parce que c’était moi » : les bienfaits de l’amitié ne sont plus à prouver. Mais face aux épreuves de la vie, la célèbre formule de Montaigne a-t-elle ses limites thérapeutiques ?

«L’ami doit être passé maître dans l’art de deviner et dans l’art de se taire », disait Nietzsche. Seulement voilà, nos amis, tout comme nous-mêmes, ne sont pas tous de grands sages, loin s’en faut, et c’est tant mieux ! Face à la détresse d’un ami, jusqu’où faut-il se taire ou parler, compatir ou agir ? Comment être aidant mais pas envahissant, compréhensif mais pas « gnangnan » ? Et quand la tristesse nous tire par les pieds, jusqu’où faut-il suivre les voies de l’amitié pour retrouver un peu de cette estime de soi et de cette dynamique qui aident à vivre mieux ? Pas si simple.

Jean-Claude Liaudet, psychanalyste et notamment auteur de Quand l’amour manque, comment se reconstruire (L’Archipel, 2015), nous explique la différence fondamentale entre un ami et un psy : « L’écoute bienveillante d’un ami et l’écoute thérapeutique ont chacune leurs vertus mais ne sont pas du tout du même ordre : le psy, on ne le connaît pas et on ne le connaîtra jamais. On peut se permettre de tout lui dire puisque ça n’aura pas d’autres répercussions que ce qui se passe dans les séances et en soi. Alors qu’un ami, tout ce qu’on lui dit aura des effets dans la réalité. Dans toute relation, il y a du transfert 1 et du contre-transfert 2 à l’état sauvage. Mais dans le cadre thérapeutique, c’est maîtrisé, pas dans la relation amicale ».

Analyse partagée par Virginie Megglé, psychanalyste et auteur, entre autres, de Les Séparations douloureuses : Guérir de nos dépendances affectives (Eyrolles, 2015), qui alerte sur les dérives possibles de l’écoute amicale : « Dans un rapport d’amitié fort, si effectivement on s’apporte mutuellement dans un contrat tacite ce dont chacun a besoin, pourquoi pas. Il y a des amis comme ça, qui savent se soutenir au bon moment. Mais c’est très rare. La thérapie a pour vocation d’amener un patient sur le chemin de l’autonomie et, même si un thérapeute se laisse un peu envahir, il supervise, c’est son métier. Dans le meilleur des cas, c’est le cadre, y compris avec le paiement qu’il suppose, qui est là pour rendre la situation neutre et qui permet de résoudre les problèmes de dépendance affective. Dans l’écoute amicale, en général, l’élan premier est généreux. Mais, qu’on le veuille ou non, la plupart des amitiés sont aussi possessives. Quand l’ami se place en thérapeute, il exerce plus ou moins consciemment une emprise sur celui qu’il écoute. »

Est-ce à dire qu’il faut éviter d’être trop empathique avec un ami qui va mal sous peine de le polluer dans une relation inconsciemment malsaine ? Que nenni, répond Jean-Claude Liaudet : « Il ne s’agit pas de ne pas s’impliquer, bien au contraire. Il faut s’impliquer à fond, accepter de ressentir ce que provoque mon ami en moi et l’accepter sans jugement, ce qui n’est pas facile. Contrairement à une idée reçue, le psy est aussi très impliqué. Ce que lui fait ressentir un patient est d’ailleurs son premier outil de travail, sa boussole. La différence, c’est qu’il est capable d’identifier ce qui se joue dans la relation, contrairement à un ami. »