Les progrès du savoir et de la pratique médicale sont une chose. La réalité vécue par le malade en est une autre. La vaste enquête menée par Philippe Bataille, consacrée aux malades du cancer, bouscule à la fois l'image d'une médecine toute-puissante et bien des tabous collectifs sur la maladie. Une multitude d'entretiens individuels et de discussions de groupe (sous la forme d'une intervention sociologique) en constituent la matière première.
D'emblée, le moment de l'annonce de la maladie, celui où toute une vie bascule, révèle l'écart fréquent, sans pour autant être permanent, entre la rationalité médicale et la subjectivité du malade. Les récits des multiples maladresses subies par les malades sont nombreux. Dès ce moment s'ancre en lui le sentiment d'être infantilisé et de voir sa réalité personnelle engloutie sous un discours médical asséné parfois avec arrogance. Cette difficulté de la structure médicale à intégrer les dimensions personnelles dans la relation soignante est vivement ressentie également dans la phase des soins. La faiblesse de l'information sur les conséquences d'interventions chirurgicales, sur les effets secondaires de la chimiothérapie est perçue comme un obstacle à l'instauration d'une relation de confiance plus approfondie et à la pleine implication du malade dans son combat.
A ce stade de l'analyse est posé le problème de l'articulation entre le vécu individuel de la maladie et l'élaboration d'une action visant à ébranler les médicales en place. La revendication, maintes fois affirmée, du droit à l'information médicale pour le malade, par exemple à travers l'accès au dossier médical, pose la question des droits politiques pour le malade en soin. L'auteur traite aussi des répercussions de la maladie sur le travail. Le droit du travail ne protège que faiblement ceux que la maladie affaiblit. A cet égard, la crainte du licenciement ou de la relégation est constante.
Dans l'optique de changements éventuels, les représentations collectives de la maladie véhiculées par les médias jouent aussi un rôle crucial. Un certain nombre de malades reprochent aux médias de survaloriser le triomphalisme médical en matière de progrès scientifique et de continuer de négliger leur propre témoignage.