Un enfant « difficile », ça veut dire quoi ?

Par définition, un enfant n’est pas « difficile » tout seul, mais aux yeux d’autrui : pour sa famille, les copains, l’école… Et il n’est pas une invention du XXIe siècle !

La première question à se poser est de savoir pour qui l’enfant est difficile, prévient le pédopsychiatre Philippe Jeammet, auteur de Pour nos ados, soyons adultes (Odile Jacob, 2008). L’est-il pour les autres, pour ses parents, pour les enseignants ? Ou pour lui-même ? D’autre part, comment définir ce qui est « normal » ou non dans le comportement d’un enfant qui pose des problèmes aux adultes et parfois à ses pairs ? « Il s’agit d’un continuum, rappelle Philippe Jeammet : le normal devient pathologique lorsqu’un enfant s’enferme dans la répétition d’un comportement dont il est le premier contraint. »

Une construction historique ?

Pour Jean-Jacques Yvorel, docteur en histoire et chercheur à l’ENPJJ (École nationale de protection judiciaire de la jeunesse) et au CNRS, la notion même d’enfant difficile est à resituer dans un contexte et une société donnés. Les différentes figures de l’enfant difficile ne sont pas naturelles, car toutes issues d’une construction historique, sociale et juridique. « Aux XIXe et XXe siècles, dans les familles aisées, était considéré comme difficile l’enfant qui refusait de suivre les traces de son père ou encore celui qui voulait sortir de sa condition. Tout enfant dérogeant au schéma social conventionnel était donc étiqueté comme « difficile » et pouvait être corrigé selon la volonté du père de famille. Parallèlement à cela, c’est aussi au XIXe et au XXe siècle que s’affine et se précise la segmentation de la vie en différents âges comme la petite enfance, l’enfance, et surtout l’adolescence… À chaque âge va correspondre la création d’une institution. C’est en fonction de ces institutions que la notion d’enfant difficile se renforce ». Chaque institution véhicule un nouveau système normatif auquel l’enfant doit se conformer. Aujourd’hui, certains enfants « bruyants », « turbulents », sont étiquetés « difficiles » par le corps enseignant. Jean-Jacques Yvorel nous rappelle que ces enfants sont alors considérés difficiles depuis que l’école a été rendue obligatoire, laïque, et gratuite… En résumé, tout enfant qui ne se conforme pas aux attentes véhiculées par le système social et éducatif de son temps serait difficile.

La fin du XIXe siècle, avec par exemple la théorie de la dégénérescence, voit une victoire de la lecture médicale des problèmes sociaux, ainsi qu’une modification de la compréhension des déviances et du crime : « Le crime qui, avant les années 1870, était l’affaire des pauvres, d’une classe dangereuse, devient l’affaire d’individus dangereux, relate Jean-Jacques Yvorel. De la théorie de la dégénérescence à celle du pervers constitutionnel, cette lecture nosographique est basée sur les symptômes et non sur leur origine. On biologise le social, utilisant des théories où le raisonnement par corrélation remplace le raisonnement par causalité. »