« Un réservoir de colère se remplit peu à peu » Entretien avec Jacques de Maillard

Pour le politiste Jacques de Maillard, les rapports entre la police et les jeunes de quartiers défavorisés se dégradent depuis des années, sur fond de discriminations. Un « terreau fertile » pour une vague émeutière violente.

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La mort de Nahel M. a engendré des émeutes un peu partout en France. Pourquoi de si vives réactions ?

Le caractère instantané des réactions est d’abord lié à la diffusion d’une vidéo : beaucoup ont pu observer les faits, et constater de leurs propres yeux qu’ils contredisent la version officielle. Contrairement à ce qui avait été annoncé, on ne constate pas la menace que le refus d’obtempérer fait courir aux policiers ou à autrui. Non seulement la mort spectaculaire et injustifiée d’un jeune homme de 17 ans touche émotionnellement la population, mais une question nait immédiatement : que se serait-il passé s’il n’y avait pas eu de vidéo ? Un fort sentiment de colère et de défiance nait alors.

Deux enjeux structurels liés aux relations police-population, rendant cette mort brutale particulièrement impactante. Depuis la loi de février 2017, qui étend les conditions d’utilisation des armes à feu pour des refus d’obtempérer en ne spécifiant pas précisément les conditions d’usage des armes, les publications de données administratives identifient un accroissement du nombre de tirs sur des véhicules en mouvement. Une étude publiée en 2023 dans la revue Esprit a montré que le nombre de tirs mortels a considérablement augmenté ces dernières années, avec aujourd’hui 0.32 décès par mois à l'issue d'un tir sur un véhicule, contre 0.06 avant la réforme.

De plus, les relations entre les jeunes de quartiers défavorisés (tout du moins une partie d’entre eux) et la police sont historiquement assez houleuses. Sorte d’hostilités réciproques, de familiarité perverse et de cercles vicieux relationnels. Ces tensions, bien documentées dans le milieu scientifique, s’inscrivent dans une mémoire collective tant du côté des jeunes hommes que des policiers, et impactent les socialisations que l’on pourrait qualifier de « miroir ». Côté jeunes, les expériences de contrôle et de mauvais traitements, que cristallisent les contrôles d’identité à répétition, viennent s’ajouter aux autres expériences négatives qu’ils subissent au quotidien (des discriminations par exemple). On peut ainsi parler de « réservoir de colère » accumulé. Sans que cela soit parfaitement prévisible (qui aurait annoncé à l’avance ces émeutes ?), ces conditions structurelles constituent un terreau favorable pour générer une vague émeutière extrêmement difficile à contrôler.