Une autre vision du monde

La culture chinoise a généré un certain nombre de concepts aussi originaux que fondamentaux.

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Quand deux Chinois qui ne se connaissent pas se rencontrent, après s’être salués, la première phrase qu’ils échangent est « ni shi nali ren ? » : « De quel pays êtes-vous ? » Pourquoi cela ? Simplement pour avoir une information sur leur interlocuteur, sa langue maternelle, l’histoire de sa province, son type de cuisine favori, etc. Pareille scène, qui n’aurait aucun sens entre deux Occidentaux, montre bien à quel point est diverse la nation chinoise. Elle nous apparaît pourtant unique, alors qu’elle s’étend de la Sibérie aux Tropiques et de l’Afghanistan au Japon, sur un territoire vaste comme quatre fois celui de l’Europe.

C’est justement dans sa pluralité que s’enracine la singularité de la civilisation chinoise. Peu de cultures, en effet, ont engendré autant de langues, de coutumes, de musiques, de cuisines, d’architectures, de théâtres, de styles aussi différents, sans pour autant éclater en nations comme ce fut le cas ailleurs dans le monde.

Agriculture et écriture

Deux facteurs spécifiques semblent être à l’origine de l’unité sociologique et l’identité culturelle chinoise : un enracinement agricole de longue date et une écriture qui défie le temps. À la différence d’autres civilisations nées sur le continent eurasien, qui se sont développées par de lentes migrations ou de brutales conquêtes, le berceau de la civilisation chinoise, la grande plaine centrale du bassin du Fleuve jaune qui lui a, jadis, donné le nom du pays actuel (Zhong guo) est toujours au cœur de la Chine d’aujourd’hui. C’est à partir de ce centre que la Chine va, au cours des siècles, s’étendre vers la mer à l’est, vers le nord jusqu’en Corée, vers le sud jusqu’au Viêtnam, deux pays qui seront protectorats chinois pendant près d’un millénaire. Elle se barricadera derrière une muraille légendaire au nord-est contre les invasions continuelles venues de Haute Asie, qui un jour la submergeront pourtant. Cette sédentarité paysanne va développer dans la mentalité chinoise plusieurs traits caractéristiques.

Le premier est cette familiarité avec l’invisible propre aux agriculteurs. Ceux-ci savent que ce n’est pas leurs bras qui font pousser les récoltes, mais le pouvoir vivifiant de la terre. Et tout illettrés que furent durant des siècles les paysans chinois, ils savaient gré aux lettrés d’écrire l’idéogramme désignant la terre (土 tu) avec une forme qui, originellement, représentait une pierre dressée, une sorte de menhir, rendant par là hommage au pouvoir Yin, aussi invisible qu’efficace, de la terre. Et lorsque vers la fin de l’époque préimpériale (3e siècle avant notre ère) les lettrés bâtiront une théorie explicative du « fonctionnement des choses », le système des « Cinq chemins de l’agir » (wu xing, improprement appelé « cinq éléments ») qui, encore aujourd’hui, est utilisé par les acupuncteurs, ils placeront la « terre » au centre de leur épure 1.