Il y a quelques mois débutait la préparation de ce Grands Dossiers de sciences humaines consacré aux grandes penseuses. Il fallait relever un challenge : rendre visibles des figures féminines qui ont jalonné l’histoire des idées, alors qu’elles ont été peu considérées, voire évincées de la mémoire collective.
Je me suis livrée à une recension méticuleuse des figures intellectuelles féminines de l’Antiquité à nos jours. Contrairement à ce qu’on pouvait craindre, leur nombre est rapidement devenu si important que nous avons dû augmenter le nombre de pages de notre dossier ! Ainsi, il devenait possible de présenter suffisamment de penseuses de différentes disciplines (philosophie, psychologie, histoire, sociologie, anthropologie, sciences de l’éducation, …), de s’arrêter sur chaque période historique et d’explorer plusieurs aires culturelles (francophone, anglophone, asiatique bien que minoritaire dans le numéro).
Nous avons rassemblé quatre-vingt-sept figures féminines dans ce numéro. Que nous enseignent-elles ? Leurs réflexions ont emprunté des voies différentes de celles des hommes, comme la philosophie de l’amour, la littérature romanesque, les sciences de l’éducation, la psychologie et la psychanalyse, l’étude des discriminations, des minorités et du genre, le care… Une situation due sans doute aux centres d’intérêt de ces femmes, à leur rôle assigné, mais aussi aux résistances masculines auxquelles elles se sont heurtées, et qui les ont incité à inventer leurs propres sujets de recherche.
Certaines penseuses ont été aussi des précurseuses (l’amour moderne avec Héloïse, l’écriture épistolaire avec Madame de Sévigné, le romantisme importé par Germaine de Staël, et bien d’autres encore). Aujourd'hui, il n'y pas plus de sujets dits féminins ou masculins. Les différences de préoccupation s'estompent au fur et à mesure que la mixité progresse dans les différents domaines de la pensée. Dès le 20e siècle, des penseuses ont incarné ce mouvement, comme Hannah Arendt en travaillant sur les origines du totalitarisme.
Ce numéro montre la richesse de la production féminine, encore perçue parfois comme moins légitime que celle d’hommes. Sa préparation a été une aventure passionnante par le foisonnement d’idées et de penseuses souvent peu connues, ainsi que par les rencontres avec les autrices et auteurs qui ont accepté de contribuer à ce numéro.
Je m’attends déjà à lire vos courriers : « Il manque telle femme formidable ! », « Pourquoi ne pas avoir choisi telle autre dont la pensée a été si importante ? », etc. Aussi je vous propose de poursuivre ensemble l’entreprise en nous envoyant vos suggestions ou même vos propres portraits de penseuses dont nous n’avons pas parlé dans ces pages. Nous relayerons volontiers les meilleurs d’entre eux sur notre site www.scienceshumaines.fr.
Maud Navarre
Coordinatrice du numéro
