Une influence internationale

De l’Europe aux Amériques jusqu’en Asie, la pensée du sociologue français s’est imposée presque partout dans le monde. Retour sur les principales étapes de cette reconnaissance internationale.

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De formation philosophique, Pierre Bourdieu se trouve être l’un des sociologues français majeurs de la seconde moitié du 20e siècle. Comment son œuvre s’est-elle exportée au-delà de l’Hexagone ?

Des années 1960 aux années 1980, les premiers travaux de P. Bourdieu sur l’Algérie et les inégalités scolaires se diffusent, mais de manière limitée. Ils intéressent notamment les sciences de l’éducation, et plus particulièrement dans trois aires géographiques : l’Allemagne et les pays germanophones, l’Amérique du Sud, et la Suède, pays qui fait alors figure d’exception à cet égard dans l’aire scandinave (voir ci-contre).

Pierre Bourdieu a joué un rôle actif dans sa réception en Allemagne 1 : le sociologue français a choisi ses traducteurs et rédigé des préfaces aux traductions. Il a aussi publié deux livres en allemand, avant qu’ils ne soient traduits en français : L’Ontologie de Martin Heidegger en 1976 et L’Esquisse pour une auto-analyse en 2002. Plusieurs sociologues allemands ont joué un rôle de médiateur déterminant pour diffuser sa pensée, notamment Béate Krais, Joseph Jurt et Franz Schultheis.

Dès le milieu des années 1960, les travaux de P. Bourdieu et Jean-Claude Passeron sur l’éducation suscitent de l’intérêt chez les sociologues, qui y voient des approches exemplaires pour leur discipline et des alternatives notables à la philosophie de la culture et de l’éducation alors prédominantes. Les travaux du sociologue français attirent aussi l’attention hors de l’université, notamment auprès des intellectuels gravitant autour des éditions Suhrkamp (l’équivalent allemand des éditions Gallimard) et des avant-gardistes tels que Jacob Taubes.

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Avec la traduction de La Distinction en allemand en 1982, l’intérêt pour P. Bourdieu va croissant. Le marxisme est en perte de vitesse et les intellectuels s’ouvrent à des approches plus constructivistes. Le marketing, notamment, s’inspire de P. Bourdieu pour identifier les pratiques culturelles et « styles de vie » allemands. Des intellectuels, souvent en marge des universités, se penchent aussi sur l’analyse que fait P. Bourdieu des inégalités sociales, y trouvant une approche plus nuancée et proche de la réalité que les travaux d’inspiration marxiste. Pourtant, de célèbres intellectuels, comme Axel Honneth de l’école de Francfort, conservent un regard critique sur le travail du sociologue français, lui reprochant des analyses réductionnistes, utilitaristes et trop économistes (à cause de la notion de capital, centrale dans son analyse, par exemple).

Dès le milieu des années 1970, les travaux de P. Bourdieu se diffusent aussi en Amérique du Sud grâce à des sociologues formés en France, auprès de lui, comme le sociologue brésilien Sergio Miceli. Miceli fut le doctorant de P. Bourdieu au début des années 1970 : il a préparé sous sa direction une thèse sur les intellectuels et le pouvoir au Brésil. En 1974, à son retour dans le pays, il édite des articles de P. Bourdieu sur les « champs culturels ». Des chercheurs français du Centre de sociologie de l’éducation et de la culture, fondé par P. Bourdieu en 1968, sont invités régulièrement dans ce pays. Au tournant des années 1980-1990, le sociologue français fait partie des chercheurs les plus cités dans les thèses de sociologie, de science politique et d’anthropologie au Brésil.