Universalisme

En 1992, le politologue Pierre Hassner se demandait à quoi pouvait ressembler un universel pluriel. Était-ce la somme totale des particularismes culturels et éthiques présents dans le monde ? Si oui, étaient-ils prêts à cohabiter ou bien plutôt, se prétendant chacun porteur d’un idéal universalisable, à se livrer une concurrence acharnée ? À l’époque, on discutait encore poliment de la faisabilité du multiculturalisme et de l’aménagement des droits de l’homme. Vingt ans plus tard, l’atmosphère a viré à la guerre : les médias et l’édition bruissent de tribunes et de pamphlets pro et contra toute prétention d’une culture, en particulier nationale, à se déclarer détentrice de valeurs universelles. Au cœur de la tourmente : l’universalisme des Lumières, et sa version appliquée, républicaine, qui dénie aux appartenances culturelles, religieuses ou ethniques le pouvoir de fonder des droits collectifs singuliers. Ses adversaires sont sans pitié et l’accusent de nombreux maux : mensonge historique, l’universalisme a couvert des crimes aussi impardonnables que l’esclavage et même a pu servir à justifier le colonialisme. Mensonge actuel aussi, puisqu’il se révèle incapable d’éliminer le racisme, le sexisme, et les injustices qui frappent toutes sortes de minorités. Aveugle aux discriminations réelles, il perpétue l’existant et n’est que le cache-sexe d’un rapport de domination, une arme idéologique au service d’une culture occidentale prétendant régenter toutes les autres et « intégrer » les individus qui se risquent sur son sol. Plus grave encore, l’universalisme ne serait, selon Louis-Georges Tin, « ni valeur, ni principe, ni concept », c’est-à-dire à peu près rien, mais prétend fabriquer - chose absurde - des « hommes sans étiquette » (Julien Suaudeau et Mame-Fatou Niang).