Dans tous les manuels d’histoire du Japon, on peut trouver le récit des invasions que tenta, en 1274 et 1281, le grand khân mongol Kubilaï, empereur de Chine. Pour envahir l’archipel nippon, celui-ci envoya deux armadas, qui auraient été « providentiellement » détruites par des typhons que les Japonais baptisèrent kamikaze (vents divins). Les effectifs de ces flottes ont longtemps impressionné les historiens : 45 000 marins et soldats pour la première ; 150 000 pour la seconde ! À titre de comparaison, le débarquement en Normandie de 1944 mobilisa 166 000 hommes sur une distance dix fois moindre, et avec des moyens modernes. Quant à l’Invincible Armada espagnole, au XVIIe siècle, elle comptait 27 800 soldats et marins !
Ces chiffres ont été démesurément amplifiés, révèle l’historien américain Thomas D. Conlan. Pire !, il se pourrait qu’il n’y ait jamais eu de typhon. En fait, surpris par le savoir-faire militaire des samurai, les généraux mongols auraient prétexté avoir essuyé de formidables tempêtes pour justifier leurs retraites.
Du côté japonais, plusieurs facteurs ont joué pour expliquer les distorsions de l’histoire :
• Il était coutumier de multiplier par 10 les effectifs d’une armée, pour des raisons de prestige. C’est ainsi qu’un chroniqueur de l’époque, voyant défiler devant lui une armée censée comprendre 10 000 cavaliers, les fit dénombrer un à un par ses serviteurs… comptant exactement 1 080 combattants.
• Les prêtres des différentes écoles bouddhistes, grassement payés par le pouvoir, avaient entrepris de somptueuses prières pour demander aux dieux leur intercession. Il leur fallait prouver que leur magie était efficace, et ils annexèrent le thème des typhons pour s’attribuer le mérite de victoires « miraculeuses ».
• En analysant les comptes-rendus laissés par les samurai qui eurent à combattre les Mongols (ils décrivaient leurs faits d’armes par le menu afin d’être rémunérés par leurs supérieurs ou pour remercier les dieux), T.D. Conlan estime que chaque armée ne comprenait que 5 à 10 000 hommes, et signale qu’aucun des parchemins ne mentionne de typhon.
• L’auteur tord enfin le cou à la légende de l’invincibilité mongole : les troupes du grand khân se contentèrent d’incendier une ville à leur première tentative d’invasion, et ne furent même pas en mesure de débarquer à la seconde. Faute de logistique, de connaissance préalable du terrain et d’instrumentalisation des dissensions locales, les attaques mongoles, aisément contenues, n’auraient jamais constitué une menace pour le Japon.
Au XIXe siècle, lors de la restauration du pouvoir impérial de l’ère Meiji, le Japon se dota d’une histoire à visées nationalistes. Le mythe des kamikaze pris chair à ce moment-là. Il déboucha sur les excès que l’on sait.
Marc Olano