Le 20e siècle avait construit un univers de tours, routes et dalles inaccessibles autrement qu’en voiture, où l’éclairage était conçu pour la circulation automobile ; des services publics en haut d’escaliers monumentaux, impraticables du point de vue du handicap, de la vieillesse ou de la petite enfance ; des quartiers mal desservis par les transports en commun dont il était difficile de s’extraire et qui fonctionnent, cinquante ans après, comme des ghettos. Cet univers, pensé à l’époque comme neutre, crée la ségrégation entre valides et non-valides, jeunes et plus âgés, riches et pauvres. Il aurait fallu penser préalablement les séparations qu’a produit cet urbanisme qui se pensait universel et ne fonctionne en réalité que pour quelques-uns. Qu’en est-il au 21e siècle alors qu’on nous promet une ville durable avec l’abandon de la voiture, une cité propre et intelligente où l’on peut flâner, se distraire, faire du sport et jouir du plaisir de rencontres multiples et variées grâce aux applications d’un smartphone ?
Des recherches réalisées sur une métropole urbaine de 800 000 habitants (Bordeaux, mais ce pourrait être une autre) montrent que des catégories entières d’habitants peuvent être mises en difficulté par les aménagements réalisés pour rendre la ville « durable ». Les femmes, en particulier, dépendent plus de la voiture en raison des tâches qui leur sont dévolues : elles réalisent 65 % des courses d’approvisionnement et 75 % de l’accompagnement des enfants et des personnes âgées ou handicapées. En 2018, à Bordeaux, elles sont toujours deux fois moins nombreuses à vélo. Sur cinq piétons marchant seuls la nuit, une seule est une femme. Les piétonnes regrettent qu’on éteigne de bonne heure les éclairages de rue pour faire des économies. Le harcèlement dans la rue et les transports en commun apparaît tellement systématique – 100 % des femmes en ont été victimes selon le rapport 2015 du Haut Conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes – qu’on s’étonne du tabou qui a entouré si longtemps ce sujet, pourtant central dans la mise en place des nouvelles mobilités.