Après son élection comme président de l’Association américaine de psychologie (APA) en 1998, Martin Seligman, qui travaille depuis plusieurs années sur l’optimisme, déclare que la psychologie se concentre trop sur ce qui ne va pas, et pas assez sur ce qui va bien. Plutôt que de se focaliser sur l’analyse des troubles et des souffrances, plutôt que de « seulement » réparer le mal, ne vaut-il pas mieux essayer de comprendre, à l’aide d’outils scientifiques, de quoi sont faites les émotions positives, la force de caractère ou encore la capacité de résilience, pour faire du bien-être de certains une force pour tous ? En 1999, tout en reconnaissant l’intérêt thérapeutique de la psychologie « classique », Seligman s’exprime en ces termes : « Quand nous sommes devenus seulement une profession de guérison, nous avons oublié notre mission plus large : celle d’améliorer la vie de tous les gens ». En janvier 2000, la parution d’un dossier spécial dans la revue américaine American Psychologist 1 donne le top départ de cette nouvelle discipline, ou en tout cas, formalise un concept, un espoir, des travaux et parfois des pratiques… d’ailleurs pas tout à fait nouveaux (voir encadré).
La France à la traîne ?
Quand Martin Seligman décide d’étudier scientifiquement les aspects positifs de l’humain, il contacte le professeur de psychologie et chercheur Christopher Peterson. Faisant le constat ensemble que les manuels sur les troubles mentaux existants, dont le DSM et le manuel de l’OMS (CIM, Classification internationale des maladies) n’avaient pas d’équivalents positifs, ils décident de se lancer dans une recherche qui permettra d’établir une typologie des caractéristiques positives de l’humain 2. Créateur en 2009 de l’Association française et francophone de psychologie positive (AFFPP) et notamment auteur de l’ouvrage Introduction à la psychologie positive (Dunod, 2014), Jacques Lecomte commente : « Ils ont bénéficié d’un budget conséquent, et ce qui est très intéressant, c’est qu’ils ont étudié des productions du monde entier, des grands mythes et religions occidentaux aux contes africains. Cela a permis d’avoir un résultat assez universel concernant les forces dont les humains sont doués. Pour être précis, Seligman parlait de forces ubiquistes et pas universelles car, par exemple, si le courage est une donnée universelle, il ne s’exprime pas de la même façon selon les endroits du monde, les cultures et les époques. Toujours est-il que le moment où a été établi le CSV (Character Strenghts and Virtues), qui répertorie les 6 vertus et 24 forces des humains, est fondateur de la psychologie positive puisque jusque-là il n’y avait pas de pendant au répertoire des troubles psychiatriques. » Aux États-Unis, depuis maintenant une quinzaine d’années, les recherches en psychologie positive se sont multipliées. Car cette discipline « nouvelle » se veut scientifique, loin des marchands de « bonheur » de tout poil. Psychologie expérimentale, neurosciences : la psychologie positive se base sur le recueil de données objectivement mesurées qui doivent répondre aux critères éthiques de l’APA et se voir publiées dans des revues scientifiques. Pour exemple, une compilation de 225 articles scientifiques totalisant 275 000 participants, démontrait en 2005 qu’une personne chez qui l’on mesure un plus grand niveau de bien-être aura statistiquement plus de probabilités de développer une relation de couple satisfaisante et durable, de réussir dans son job et d’avoir un meilleur salaire 3. Les méta-analyses dans ce domaine sont inimaginables en France. Alors que les États-Unis comptent de vrais cursus de formation en psychologie positive qui mènent à un diplôme équivalent à notre doctorat, ce n’est pas le cas dans l’hexagone qui compte quelques DU tout au plus. Dans ces conditions, il est bien compliqué de trouver des budgets pour lancer des recherches… d’autant que notre pays est l’un des plus psychanalytiques au monde et que la fameuse guerre des psys est toujours d’actualité depuis la sortie du Livre noir de la psychanalyse en 2005. Concrètement, en France, si vous demandez au quidam ce qu’est la psychologie positive, il n’en a jamais entendu parler et vous demande comment la psychologie peut être négative… Au mieux, il vous parlera de psychologie du bonheur, ce que les tenants de la psychologie positive réfutent.