Vers un exode urbain ?

Depuis le début de la crise sanitaire, les départs de citadins des métropoles ont suscité l’hypothèse d’un « exode urbain ». Si elle ne se vérifie pas totalement dans les statistiques, les chercheurs observent les signes d’un regain d’intérêt pour certaines villes moyennes ou zones rurales attractives.

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Vivez mieux, vivez à Évreux », « Besançon, vous êtes bien partis pour rester »… Depuis le début de la pandémie de covid-19, les usagers des transports publics d’Île-de-France sont soumis à un flot de publicités les incitant à aller voir si l’herbe ne serait pas plus verte ailleurs, dans des métropoles régionales, dans des villes moyennes ou à la campagne. Les départs massifs de Franciliens pendant le premier confinement du printemps 2020 – l’Insee avait alors estimé que la région avait perdu plus de 450 000 résidents – ont nourri le récit d’un exil plus durable, alimenté par les gros titres de médias vantant « l’appel de la campagne ».

Pour le député MoDem des Yvelines Jean-Noël Barrot, auteur à l’été 2021 d’un rapport sur le rebond économique territorial, nous vivons « une possible amorce d’“exode urbain” » et la pandémie pourrait « avoir des conséquences durables sur le développement des territoires par les nouvelles mobilités qu’elle entraîne ». Autrice d’un essai en défense de la ruralité, Plouc Pride. Un nouveau récit pour les campagnes (L’Aube, 2021), la géographe nantaise Valérie Jousseaume affirme que ces départs des métropoles ne concernent pas seulement les cadres supérieurs mais aussi « de jeunes diplômés en quête de sens à leur vie », « des descendants de paysans lassés des promesses de la modernité », « des pauvres espérant que la misère soit moins pénible au vert » ou « des survivalistes angoissés »…

Le discours, politique, marketing, savant, sur l’exode urbain est omniprésent. Les indices de sa réalité, eux, sont pour l’instant épars. Les acteurs de l’immobilier ont été les premiers à dégainer. Selon l’indice trimestriel des prix Notaires-Insee, la province connaît, depuis le début 2020, des hausses de prix supérieures à l’Île-de-France, qu’il s’agisse de Paris ou des petites et grandes couronnes. Dans les agglomérations de moins de 10 000 habitants et les zones rurales, on constate même des variations comparables à celles des agglomérations de plus de 10 000 habitants. Mais qui dit achat immobilier ne dit pas forcément déménagement durable et, de ce point de vue, il faudra attendre un peu pour voir les traces d’un éventuel exode urbain émerger dans les éprouvettes de l’Insee : les derniers recensements de population publiés par l’institut, fin 2021, sont ceux de l’année 2019.

Pas d’exode urbain massif

Des chercheurs se sont donc mis en quête, ces derniers mois, d’autres sources statistiques. C’est notamment le cas de trois équipes coordonnées par le programme de recherche Popsu Territoires. En plus d’un travail qualitatif sur le terrain, ses chercheurs ont décortiqué les données de plusieurs sites d’annonces immobilières et des réexpéditions définitives de courrier. Leur première étude pointe que la France, toujours largement structurée par les métropoles, n’a pas connu de « grande rupture territoriale » et que l’exode urbain, quoique « largement et bruyamment annoncé », ne semble pas, « pour l’instant, revêtir un caractère massif » 1. Le phénomène n’est pas non plus inexistant : « On peut quand même s’interroger sur de petits flux, minoritaires par rapport à des grandes masses qui restent les mêmes », précise Hélène Milet, responsable du programme. Les chercheurs ont ainsi constaté un « effet covid » dans trois types d’espaces dont le dynamisme démographique s’est accru pendant la crise : les villes petites et moyennes ; les couronnes des villes, gagnées par la « méga-périurbanisation », notamment en Île-de-France ; et certains espaces ruraux, qui connaissaient déjà un mouvement de renaissance depuis une quarantaine d’années, notamment à proximité des centres urbains et sur les littoraux atlantique et méditerranéen.