Vers une écologie de l'esprit, 1972 Gregory Bateson (1904-1980)

Comment donc appréhender une unité dans ce vaste recueil d’articles abordant tour à tour l’anthropologie, l’analyse de la schizophrénie ou la dynamique des écosystèmes ? Ces fragments hétéroclites se présentent pourtant comme autant d’étapes d’une seule pensée en constante reformulation.

Bateson revient d’abord sur les problèmes posés par son premier ouvrage, La Cérémonie du Naven, paru en 1936. Celui-ci s’inscrit résolument dans les sciences humaines de l’époque, tout en frayant une voie d’analyse originale. L’analyse de la société se trouve alors écartelée entre deux pôles, d’une part l’anthropologie culturaliste, dont Margaret Mead, future épouse de Bateson, est une représentante éminente, qui place l’individu au centre de l’analyse des phénomènes sociaux, appréhendés comme le résultat d’interactions individuelles. D’autre part, l’approche durkheimienne, pour laquelle les ressorts individuels sont secondaires car, derrière les conduites individuelles, ce sont la société et ses normes qui agissent. Bateson se démarque des deux approches. Il y oppose une approche interactionniste de l’individu, conçu comme l’ensemble des relations le liant à son environnement, ce que traduit la notion d’« écologie de l’esprit ». Mais la singularité de Bateson tient à son approche cybernétique. Il conçoit les comportements individuels comme les unités d’un système assurant la régulation de l’ordre social. Cela apparaît avec clarté dans son analyse de la société balinaise : la stabilité de celle-ci se manifeste en tout endroit du système, dans chacune des interactions élémentaires qui le composent. Dans une fameuse séquence de photographies, Bateson représente le jeu d’une mère balinaise avec son fils, où on la voit stimuler sexuellement l’enfant jusqu’à ce que, parvenu à un état de grande excitation, il se jette à son cou. Alors la mère se détourne, adoptant la position d’un spectateur observant complaisamment le courroux de l’enfant. Ce qui tend à « diminuer la tendance de l’enfant à un comportement compétitif ou de rivalité », note Bateson. Ce trait se retrouve dans le mode de règlement des conflits, fondé sur l’évitement réciproque des belligérants.