Voltaire (1694-1778) Le philosophe heureux

De son théâtre en vers à ses traités et contes philosophiques, Voltaire a laissé à la postérité une œuvre majeure, portant la marque de ses combats pour le triomphe de la raison contre les fanatismes.

Dès le soir du 7 janvier 2015, dans le froid de l’hiver parisien, des citoyens anonymes se recueillent spontanément en mémoire des victimes des attentats de Charlie Hebdo. Près du siège du journal satirique, sur la place de la République, au milieu des bougies, des fleurs, des dessins et mots de soutien, sont déposés des exemplaires du Traité sur la tolérance, rédigé 250 ans plus tôt de la main de Voltaire. L’opuscule, redevenu subitement un symbole de la liberté d’expression contre l’obscurantisme et le dogmatisme religieux, voit ses ventes s’envoler cette année-là. Son illustre auteur n’aurait sans doute pas dédaigné l’hommage.

Dramaturge, philosophe, homme de lettres à la plume vive et acérée, familier des salons littéraires autant que défenseur de causes justes… celui que Roland Barthes surnomma « le dernier des écrivains heureux », en référence à son ironie joyeuse, incarne à lui seul l’esprit des Lumières, qui souffla sur l’Europe du XVIIIe siècle.

Le temps des apprentissages

Rien ne prédestinait ce fils de notaire à laisser une œuvre aussi foisonnante et éclectique, ni à fréquenter les grands esprits et monarques de son siècle. Né en 1694 dans une famille bourgeoise parisienne, les Arouet, le nourrisson est chétif. « Je suis né tué », dira Voltaire, qui entretint savamment le mystère tant autour de sa date réelle de naissance que de sa filiation, ne démentant pas ceux qui en faisaient le fils naturel d’un officier noble proche de la famille Arouet.

Après la perte de sa mère à l’âge de 7 ans, il est envoyé au collège Louis-le-Grand, tenu par les Jésuites, où il côtoie la noblesse parisienne. Au sortir de ses « humanités », le jeune François-Marie Arouet est bien décidé à vivre de sa plume, au grand dam de son père. Celui-ci le presse de faire son droit et, pour cela, l’envoie à Caen. Malgré son peu d’enthousiasme à suivre la carrière paternelle, le jeune homme est ensuite envoyé à La Haye, où il devient secrétaire à l’ambassade de France aux Provinces-Unies. Mais c’est à Paris qu’il revient bientôt entamer sa carrière rêvée de dramaturge.

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Car, si Voltaire est passé à la postérité pour ses traités et contes philosophiques, c’est bien dans l’art de la tragédie qu’il souhaitait briller de son vivant. S’inscrivant dans les pas des auteurs antiques, il commet un Œdipe en 1714, mais il faudra trois ans pour voir monter la pièce à la Comédie-Française, la troupe du Français le sommant plusieurs fois de revoir sa copie. En attendant, le jeune Arouet fréquente la duchesse du Maine, dont la demeure, à Sceaux, est devenue le foyer de l’opposition à la Régence de Philippe d’Orléans. Le poète se voit attribuer des pamphlets contre le Régent, ce qui le contraint à s’éloigner quelque temps de la capitale, avant d’être emprisonné près d’un an à la Bastille. Lorsqu’il en sort, en 1718, celui qui est devenu Voltaire a entamé l’écriture de La Henriade, pièce-phare saluée par les spectateurs et la critique.

En 1726, Voltaire a une altercation avec le chevalier de Rohan-Chabot, membre de l’une des plus prestigieuses familles de la noblesse. L’anecdote est restée célèbre : au chevalier qui moquait son nom de plume, Voltaire aurait répondu « Monsieur, je commence mon nom et vous finissez le vôtre ». Quelques jours plus tard, à la sortie d’un dîner chez le duc de Sully, Voltaire est rossé par des laquais du chevalier. Les nobles que le poète compte parmi ses amis lui opposent un refus poli lorsqu’il sollicite leur soutien dans l’affaire. Aucune enquête n’est diligentée contre le chevalier et – suprême injustice aux yeux de Voltaire – le clan des Rohan obtient même son arrestation.