L'expression apparaît régulièrement sous la plume d'historiens, de politologues, d'essayistes et d'autres observateurs de l'actualité : la société, la vie politique ou l'économie hexagonale présentent-elles une singularité, une spécificité qu'aussitôt on l'impute à une exception française.
Outre une histoire pluriséculaire et mouvementée, le double héritage de la période révolutionnaire et napoléonienne est spontanément invoqué pour justifier l'usage d'une telle expression : le caractère un et indivisible de la République, la prétention de celle-ci à incarner des valeurs universelles attachées aux droits de l'homme. De même que le rôle central que joue l'Etat dans la constitution de l'identité nationale : la France figure parmi les plus anciens Etats-nations et c'est cette ancienneté qui expliquerait sa difficulté ou réticence à se fondre dans les tendances qui travaillent les autres pays. De la France, l'ancien ministre Roger Fauroux peut ainsi écrire qu'elle est « le seul pays d'Europe où l'Etat et la nation ont fait corps à ce point ».
Des singularités françaises...
D'autres caractéristiques, les unes positives, les autres négatives, sont invoquées pour accréditer ou justifier l'idée d'une exception française.
- Sur le plan économique : le poids de l'Etat et son soutien traditionnel apporté aux fleurons de l'industrie (les champions nationaux) au détriment des petites et moyennes entreprises ; le nombre pléthorique de fonctionnaires (plus de 5 millions).
- Sur le plan politique : le caractère centralisé et jacobin du pouvoir ; le poids des élites et notamment des énarques (environ 5 000 hauts fonctionnaires français formés à l'Ecole nationale d'administration depuis 1945).
- En matière de politique étrangère : le poids de l'héritage gaullien qui inciterait le pays à cultiver une certaine indépendance à l'égard des Etats-Unis et une politique de puissance, fût-elle moyenne, à travers notamment l'entretien d'une force nucléaire. L'exception culturelle mise en avant par la France lors des négociations du Gatt de 1993 serait l'ultime avatar de cette exception française associée à l'idée de grandeur. Les stéréotypes relatifs aux tempérament et comportement des Français sont également parfois soulignés pour accréditer cette exception : leur esprit cartésien, leur romantisme aussi (l'image du french lover), etc.
Une autre manière de justifier l'invocation d'une exception française est de constater a contrario les difficultés rencontrées par la France à s'adapter au contexte de mondialisation mais aussi à une construction européenne synonyme à terme de banalisation.
Interrogés sur l'existence d'une telle exception, les chercheurs étrangers ne cachent pas leur scepticisme. « Si vous m'interrogez sur l'exception française, prévient l'un d'entre eux, alors je vous parlerai de l'exception allemande, de l'exception anglaise... » Bref, la France n'aurait pas le monopole de l'exception. De même, elle ne se singulariserait pas autant qu'on le dit. Le fait est que plusieurs caractéristiques évoquées plus haut ne sont pas propres à la France.
... qui ne sont plus toujours d'actualité
Par ailleurs, des caractéristiques qui lui sont traditionnellement attribuées ne paraissent plus aussi d'actualité si tant est qu'elles l'ont jamais été. Ainsi du capitalisme à la française qui se révèle être l'un des plus mondialisés. Quant au caractère centralisé de l'Etat, des travaux montrent rétrospectivement qu'il a pu être surévalué. Que pour être tout-puissant, l'Etat n'en a pas moins traditionnellement composé avec les acteurs locaux. Même constat pour les corps intermédiaires. Depuis Alexis de Tocqueville et son célèbre ouvrage L'Ancien Régime et la Révolution (1856), il est admis que ce pays se caractérise par une faiblesse quasi congénitale de ceux-ci. Dans son dernier ouvrage, consacré au modèle politique français 1, Pierre Rosanvallon montre qu'il n'en a rien été. Dès la Révolution, de nouveaux corps ont été créés ; tout au plus a-t-on veillé à ce qu'ils ne servent pas à la défense d'intérêts corporatistes.