Léon Walras et les néoclassiques

A la recherche de l'économie pure

Mettre l'économie en équations sous la forme d'une interdépendance de marchés en équilibre : par cette intuition, Léon Walras va bouleverser la science économique.

Eté 1858 : le jeune Léon, 24 ans, se promène dans la vallée du Gave de Pau avec son père Auguste Walras. Ce dernier, philosophe et économiste, lui affirme qu'une des grandes tâches à accomplir pour le xixe siècle est de « commencer à créer la science sociale ». Léon Walras lui promet alors de « laisser la littérature et la critique d'art pour (se) consacrer entièrement à la continuation de son oeuvre ». Ingénieur raté (il a échoué à Polytechnique et est sorti sans diplôme de l'Ecole des mines), romancier velléitaire, il entame alors un long chemin vers la construction du modèle théorique qui lui vaudra une reconnaissance tardive.

Fasciné par les résultats de la physique et de la mécanique, L. Walras veut faire de l'économie une science rigoureuse. C'est en rédigeant en 1859 son premier ouvrage, consacré à Proudhon, qu'il a l'intuition d'une « économie politique pure et appliquée à créer dans la forme mathématique ». Polémiste féroce et iconoclaste 1, il ne parvient pas à s'insérer dans les institutions académiques françaises, et exerce divers métiers avec une réussite inégale. Mais ce n'est qu'à partir de 1870, lorsqu'il est nommé professeur à l'université de Lausanne, qu'il élabore le modèle de l'équilibre général qui va fonder le paradigme néoclassique.

Le modèle walrassien s'inscrit dans ce que l'on a appelé la révolution marginaliste, qui impose une analyse nouvelle de la valeur. Pour les économistes classiques (Adam Smith, David Ricardo, Karl Marx), la valeur d'un bien résidait dans la quantité de travail nécessaire pour le produire, et non dans l'utilité qu'il procure au consommateur. A. Smith réfutait l'approche utilitariste à l'aide de l'exemple de l'eau et du diamant : l'eau, remarquait-il, est plus utile que le diamant, et pourtant elle est bien moins chère. La réplique fut fournie dès 1776 par le philosophe Etienne de Condillac : plus un bien est rare, plus il est précieux ; c'est pourquoi le diamant est si cher.

Du marché stylisé à l'équilibre général

Les néoclassiques vont fournir une interprétation qui permet de combiner l'utilité et la rareté, en introduisant le raisonnement à la marge. La valeur d'un bien est liée selon eux à la satisfaction que procure la dernière unité détenue. Cette utilité marginale décroît, au fur et à mesure que la quantité détenue augmente, jusqu'à satiété : la satisfaction d'acquérir une première voiture est supérieure à celle que me procurera une deuxième ou une troisième automobile. L. Walras va formaliser la loi de décroissance de l'utilité marginale. En s'appuyant sur les travaux d'Augustin Cournot, inventeur de la courbe de demande, il montre que dans le cas de l'échange de deux marchandises, il existe un prix qui équilibre l'offre et la demande.